lundi 11 mars 2019

Lars où la matière, sur The house that Jack built


     La complexité de Lars Von Trier rend difficile sa traduction et encore plus celle de ce qui le travaille et qu’il cherche à retranscrire. On sort comme pantois, de ses films, voir abasourdi et bredouillant d'interrogation, sentant bien qu’on a perçu là la lueur fragile d’une sorte de révélation, confuse, mais sans vraiment "comprendre" l'ensemble. Comme si le monsieur nous abandonnait, en fin de compte, son puzzle à reconstituer.

Le privilège (si si) me fut donc donné de visionner le dernier Lars Von Trier hier. Je ne vais pas vous en raconter l’histoire, le moindre chroniqueur instagramé du bulbe se sent toujours obligé de le faire et c’est généralement très pénible. Dès la seconde ligne, on a envie de lui dire d’aller se faire empapaouter chez les slovaques, tellement le gonze t’insipide la chose, t’affadit le propos, te dégueulasse le pignon à vouloir le ravaler. Bref, t'empoisonne la belle étrangeté du grand tout par un moralisme bas-de-game ou des considérations dont on pourrait se passer.
Inutile donc de répéter au technicien de surface que ce n’est pas son pesant résumé ni son jugement fabriqué pour t’orienter à la fin qui importe, mais plutôt et toujours la vie, vibration, la grâce, bref, un sens et sa sentence tout en même temps, et puis des tripes et encore et toujours une résonance.

Au fond, chez Lars, il n’y a d’autre histoire que la souterraine sienne et la tentative de faire surgir le sens de la souterraine nôtre. Lars von trier est un enfant devant une caisse à jouet qui jubile non pas uniquement de provoquer des carambolages monstres avec ses voitures miniatures mais surtout de voir nos gueules, ensuite, à la vue du résultat. Un jouisseur impénitent dépourvu, justement, de la moindre pénitence.

De ses légos, il fait un simulacre de nos vies poussant notre humanité à bout.
Serait-il une sorte de nazi à expériences ou un entomologiste qui veut faire surgir le suc d'une situation ou d'un être pour mieux comprendre puis nous le faire comprendre ? Je penche évidemment pour la seconde définition du bonhomme.
Soit tu joues le jeu, soit tu refuses de jouer, mais sache-le, c’est ta compréhension du film, et peut-être bien en définitive de toi-même, dont il sera question. Il t’ouvre une porte vers lui-même (nous-mêmes ?) que tu peux ou non emprunter. A toi d'accepter où non ce que tu y verras.

Je vais vous avouer un truc. Plus j’y pense et plus je me dis qu’il est plus que probable que ce soit mon propre masochisme qui m’ait fait, en premier lieu, aimer ses films. Ma porte à moi, en quelque sorte. Être une marionnette ? Why not, si ça peut amener vers quelque chose de plus grand. Mais ça demande de s'abandonner et de devenir littéralement un outil, voir une chose, à son service, à ses desseins.


“De tout temps tu aurais souhaité la guerre, toi, l’humain ? Dans une cruauté propre aux animaux sauvages dans la nature ? Je vais te me les montrer, nos dégueulasses rouages, ceux qui nous habitent, nous sous-tendent, nous, occidentaux, ceux qui nous ont fait de tout temps nous mouvoir. Je vais t’en donner, mais ne détourne pas le regard quand l’éclairage te montrera le visage de ta propre saloperie en face".
Penchant constamment vers la merde, c'est d’organique dont il semble être définitivement question, en l’homme. En quelque sorte, son sens, sa vie, son destin serait organique, rien d’autre. Mais si esthétiquement, ça pourrait encore le faire, ou du moins évoquer une certaine cocasserie, philosophiquement, ça le fait pas trop.
L’artiste seul, selon LVT, peut élever et faire s'élever les autres. Vie, mort et merde, donc, mais sens et élévation en parallèle, sinon c'est la chute.


LVT : “Je suis nazi ? Ok, si ça peut te faire couiner d'indignation... Mais sache une chose, c’est avant
tout toi et ton aveuglement qui ont permi les millions de morts des siècles passés. Me demande pas comment, mais c'est ta conséquence qui a eu comme résultat tous ces mirifiques génocides décoratifs que t'es tout à fait prêt à recommencer, si des fois l'on s'oubliait à te refiler l'outillage pour. C’est ton passé, ta responsabilité, tes aïeuls chéris, qui nous ont foutu dedans. C’est cette vie bleuette avant toi qui contenait son germe de mort, son essence de massacre, ses bactéries d’envie de meurtre qui t'ont toujours tenaillé et que tu lâches, comme si tu te soulageais ponctuellement la vessie, un peu partout. Sans même qu'on te pousse beaucoup pour ça, d’ailleurs.
C’est la mort qui t’a constitué, mec, en manque ou par soif d’amour, elle t’a pris dans ses bras et t’as étripé, elle a fait de toi son jouet, son oeuvre, son destin sanguinolent, son ricanement ultime avant agonie ou pendant, ça dépend de la particularité de l’agonie, dont je te raconterai, finalement, et dans chacune de mes oeuvres, l’essence, la naissance, la mise en route puis l’achèvement. Ou l'inachèvement”.
Zoum badaboum, tout Lars Von trier

Discerner entre les lignes de cet artiste, pulsionnel, récidiviste comme l’est le serial-killer du film. Maladroit puis de moins en moins car il bâtit et crée quelque chose de tout ça. Sa maladresse se transforme alors en une certaine certitude des choses appliqués régulièrement. Cet acte répétitif qui constitue, au fond, son oeuvre, le constitue lui.

“On me cherche ? Et bien je vais faire pire. Vous en voulez des idéologies nazies ? Des poèmes à
base d'extermination de masse ? Des paraboles, symboles, acropoles ? Vous en aurez.
Laisse moi d'abord t'en faire de la charpie, de ton idéal familial, comme du reste. Je sais, c'est facile, mais quand je t'aurais fais un pantin cocasse du cadavre d'un gamin (grossièrement tiré par des fils pour mieux jouer avec), on verra bien qui ricanera le dernier.
Je suis architecte, je cherche mon matériau pour faire la maison de mes rêves, pour bâtir mon oeuvre.
Le matériau pour monter les murs et dresser les fondations sera celui qui a jalonné périodiquement (œuvre pulsionnelle et créatrice) ma vie de serial-killer : le cadavre. Conservé mais un peu en décomposition quand même pour tenter ce quelque chose qui donne les meilleurs vins : la pourriture noble.
En ce sens, soyons noble jusqu'au bout. Mon nom est tout de même mister sophistication.”

Retour à la famille et cette jolie scène familiale champêtre et bucolique d'apprentissage de la chasse qui finit en massacre.
Le chasseur, le tigre, le chassé, l'agneau. Comme toujours dans sa radicalité sauvage, LVT barbouille, fasciné, ses tableaux mystiques, car au fond de lui, peut-être que c'est de ça, dont il juge que nous manquons tous. Pas de religion, dont il sait parfaitement la bêtise et la dégueulasserie, mais de religiosité.

En ce jour dominical, Mister sophistication (Jack) passera donc de l'enseignement du sens de la vie sauvage au gamin, fasciné sous l'oeil d’une maman en pâmoison (qu'on semble deviner prête à tout pour trouver un père à ses deux rejetons), à la mise en pratique de la sanguinolente chasse sur l’ébouriffante famille elle-même.
Le tigre, les agneaux, quoi.
Sur un premier plan, une scène de chasse qui vire comédie macabrement jouissive. Sur un second palier, ou étage, la construction (the house that Jack Built) d'une sorte “d'oeuvre” de la vie du serial-killer Jack lui-même (l'autre de son créateur Lars Von trier). Un Lars Von trier, qui, peut-être, a choisi de ne plus “remonter” de l'enfer (là où son personnage / marionnette / paravent l'avait entraîné), après avoir fait là, finalement, peut-être aussi, son dernier film.

Tout ou presque se finit dans des pièces frigorifiques où il entrepose “son matériau”, les corps de ses
victimes (et où il les fait se mouvoir à sa guise). Le sens, la vie, la mort, la création, et aller jusqu'au bout de tout ce que doit pouvoir permettre celle-ci, et comme doit l'être, selon lui, la vie du véritable artiste, en architecte et ingénieur du matériau qu'il trouvera le plus adapté à lui-même.

House that Jack Built est comme une sorte de (dépôt de ?) bilan de la carrière de Lars Von trier lui même, jalonné des cadavres de sa création (destruction pour mieux créer, renouveler, rebâtir, monter jusqu'au ciel, paganisme, versé de préceptes chrétiens et imageries (icônes) du réalisateur). En enfer dans le film, condamné dans la réalité ? A savoir si Lars Von trier en ressortira pour refaire du cinéma un jour. Rien de certain, rien d'écrit à l'avance, mais s'il réapparaissait, reviendrait-il soigné de ses pulsions de serial-killer ?
Pas souhaitable pour le cinéma.

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