mercredi 11 août 2021

Sur Annette, de Léos Carax


     

     Si Carax m’a toujours fait penser à un magicien, ce n’était pour ma part et jusqu’à aujourd’hui, qu’à un prestidigitateur-fabriquant de scènes extraordinaires, que de fascinants trous noirs très symboliques auraient alors étrangement reliées entre elles.
De Mauvais Sang, (ma) toute première expérience cinématographique, où déjà ces instants d’embrasement enflammaient l’écran, aux Amants du Pont Neuf habillé et habité par une ferveur quasi-religieuse, jusqu’aux miraculeuses scènes d’Holy Motors (renvoyant aux Amants), le réalisateur semblait avoir toujours évité la linéarité simple du récit. Il semblait même vouloir renvoyer la machinerie du spectacle à une expérimentation poétique parfois chaotique dont il aurait intuitivement souhaité voir surgir la magie. Huilée, cette machinerie faisait toutefois se succéder des scènes, récits déconcertants et heurtés que je n’arrivais à rattacher à rien et encore moins à comprendre (ah, ce besoin de comprendre). Et ce même si la magie opérait.

Dans Annette, si celle-ci prend, dès lors que le réalisateur lance son So May We Start, la chorégraphie, l’orchestration, la mise en scène et l’histoire elle-même y sont d’une lisibilité aussi claire que terrible. Ainsi, sans artifice autre que la simple scénographie d'une histoire d’amour, la virevoltante comédie humaine s’empare alors de l'écran pour l’étreindre et ne plus jamais le lâcher : Sparks, musique, chants, danse, personnages, vies de ces mêmes personnages liés l'un à l'autre pour le meilleur et par le pire. Dans une tragicomédie musicale qui dit si bien les affres de la (sur)représentation propre au star-system, ou même aux simples réseaux sociaux, si factice et facile mise en avant de soi désormais dévolue à chacun, le récit dessine le portrait idyllique, finalement très normé et traditionnel que vendront alors les médias, d’un couple star, de deux étoiles filantes contiguës (Adam Driver – Marion Cotillard) dont l’éclat trop intense de l’une (Ann) et sa maternité participeront à atténuer celui du showman comico-cynique Adam Driver, affublé sur scène d’une sortie de bain à capuche verte.

À partir de ce moment-là, Dark Vador se mettant en scène sans qu'on ne lui visse encore la face sombre, il chevauche seul sa moto la nuit tel une étoile filante noire, hurlant de douleur.
Car de ce stand-up où il fabrique du rire et dit fabriquer du rire, la forme qu'aura prise son existence finira par ne plus (lui sourire) le faire rire du tout, ni lui donner la moindre envie de faire rire. Son amour pour Ann, chanteuse lyrique et étoile qui brille au firmament, les aura réuni le temps d’un ballet aux envolées lyriques sur l’amour, toujours l’amour, encore l’amour. Amours surjoués, trop surlignés pour être, en définitive, vrais ?
Ces quelques pas ébauchés sur scène par un Adam Driver léger, deviendront, alors que leur couple maternera l’enfant-poupée-monstre Annette (Chucky), un pamphlet acerbe et une attaque frontale d
'un public qui veut rire, lui, toujours et encore, et même et surtout s’il n’y a plus rien à rire. L’amour mis en scène aurait il tué leur amour (si tant est qu’il fut vrai) et finalement sa créativité ? Ce public vorace ne veut-il plus que rire, encore rire, toujours rire, sa seule raison d'être ?
Dark Driver ne rit plus, là ou il n’y a plus rien à dire, là où l’on ne souhaite plus du tout faire rire, là où son obligation à lui deviendra alors celle, unique, de dire la tragédie de son emprisonnement volontaire. L’impasse,
l'abîme, les abysses, l’indépassable gouffre dans lequel il se voit si facilement doublé par une resplendissante étoile (Ann), au milieu de cette fureur à se sentir prisonnier de son jeu, dans ce simulacre de vie pourtant fabriqué par lui-même jusqu’à l'enfantement. Son étoile ne serait-elle plus que l’ombre du succès d’Ann, qui meurt toujours sur scène pour mieux être saluée à la fin par les hourras du public ? Est-ce donc ça, ce que veut ce public ? Un ronronnant mensonge répétitif dans lequel il trouverait son compte ? Rassurer, puis enfanter, et alors quoi, mourir ? A quoi l’art peut-il servir alors ? S’il ne sert plus qu’un assentiment généralisé ou une tradition ? (couple, enfant, vacances, vie, meurs et tais toi. Sauf pour fabriquer ce rire finalement formaté).
Son ricanement ne résonnera plus alors qu’à l’unisson de sa pitoyable petite tragédie égotiste personnelle.
Qui va alors se révéler tandis qu’il comprendra que si ce simulacre (d'amour) aura finalement donné Annette, il aura également ravagé tout sur son passage, obscurcissant son étoile et mettant un point final à sa créativité.

De la comédie musicale à la tragédie de l’existence, il n'y a qu’un pas, que Lars von Trier, dans son Dancing in the Dark, avait volontairement franchi, mettant l’humanité et son besoin d’être systématiquement consolé ou rassuré en face d’elle-même. Tu n’auras plus de refuge que dans l’imaginaire, ma fille (mon fils), lorsque la réalité te sera rendue insupportable. Mais ne serait-ce pas justement cette faculté qu’ont les humains de fuir systématiquement, et par l’imaginaire, la réalité, qui fera qu’en fin de compte celle-ci sera devenue insupportable, puisque personne ne se sera souciée de s’en emparer pour au moins l’améliorer ?
Ici, nulle question d’améliorer quoi que ce soit, mais plutôt, en définitive
, de se servir au passage. D’éteindre une étoile et d'en exploiter une nouvelle pour continuer à briller soi-même.
Cette musique, et son intonation tragique, si troublante ressemblance avec l’Etoile noire du dernier album de Bowie, comme sa prolongation volontaire, en alignement des (planètes ?) étoiles qui auraient alors trouvées leur véhicule parfait en la voix d'Adam Driver, si proche de celle du chanteur à la fin de sa vie. Dernière étoile à chevaucher avant la noirceur abyssale d’un rideau qui tombe.
So May We Start.
Jusqu'au bout, la vie n'est qu'une histoire d'appréhension de la mort, de la précipiter, de l'attendre sagement en la préparant, ou bien de faire comme si, en réalité, elle n’existait pas. Quitte à mentir, quitte à être un comédien qui joue, quitte à être un auteur qui (se) raconte des histoires. Des histoires de vie pour mieux supporter l’idée de la mort, l’idée que la lumière, sur soi, en soi, ou tout court, s’éteindra un jour à jamais. La vie ne serait-elle qu’une farce noire à jouer en grimaçant ? Et soi-même un abîme vers lequel il serait préférable de ne pas trop se pencher ? Ne me regardez plus, dira alors le créateur déchu, mortellement blessé sur son étoile noire, poussé par le rire et le regard des autres dans lesquels il se sera un peu trop vu briller.
You Used to laugh (what's your problem, your fucking problem ?)
 

Léos
Carax a plus que réussi son pari, il a uni ses scènes pour en faire une fabuleuse mélodie.
⭐⭐⭐⭐⭐

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