Alors que le polar est souvent
investi d’une vocation sociale voire d’une utilité historique plus que de
finalité littéraire, ici, si ce livre est complètement littérature, il n’en est
pas moins dénué, bien au contraire, d’un intérêt social et historique véritable
puisqu’il fait le récit d’une communauté îlienne (imaginaire, l’île n’existe
pas) il y a de cela plus d’un siècle.
Malgré un début difficile (mes habitudes de lecture), petit à petit s'y égrène
la magie du verbe de l’auteur mêlée aux descriptions ciselées distillant le
goutte à goutte d’une atmosphère d’une ampleur très imagée aussi réaliste que peut
l'être la rugueuse réalité d’une telle communauté face à la vie, mais
également, et surtout, puisqu'on est en Bretagne et pas ailleurs, face à la
mort.
Mais quelle est la part de
vérité dans un récit qui convoque autant les contes et légendes sur ces terres
aux atmosphères aussi changeantes que le caractère de ses habitants ?
Clichés ? Jamais, puisque
l’auteur a l’intelligence d'inclure la dure réalité des lieux et de ces êtres
au cœur de la fantasmagorie du récit à l'image du regard d’un enfant qui voit
un monde si immense autour de lui que celui-ci en devient démesuré et irréel,
donc, forcément, et de ce fait, légendaire. La légende naît de là, en fait.
D’une admiration sans borne pour ce qui serait plus grand, donc inatteignable.
La Bretagne n’est pas un pays,
mais une multitude de pays, délimités tout en étant illimités, enrichis de
langues, rites, coutumes, de cultures et d’histoires, de déplacements de
populations jusqu’à l'arrivée de tant d’autres. Mais elle est aussi et toujours
un ailleurs qu’on croit avoir perdu ou qu’on cherche désespérément, parce
qu’elle ne se raconte pas et ne se racontera jamais dans les dépliants
touristiques.
Début 20eme : Deux femmes meurent le même jour, l'une de maladie, l’autre par
suicide. Premières pertes dans les deux familles dominantes de l’île qui, en
quelque sorte, mais à distance, se font face à chaque extrémité de celle-ci. Si
ça vous plante à décor, ça distille surtout ce qui pourrait arriver, en cette
Bretagne où quelques kilomètres ont longtemps été la distance séparant le connu
de l'inconnu.
Petit à petit, à mesure de la
lecture, c’est comme si l’on tombait, en ce monde, comme si l’on en devenait
mousse, pierre, eau dévalant le rocher, sable incrusté, jetée du port,
frémissement des ajoncs et de la bruyère sur une lande rocailleuse soumise aux
vents puis aux eaux d’un océan furieux comme à celles, aussi soudaines et
définitives, d’un ciel d’orages tonnant sa punition divine jusqu’au soleil
couchant qui embrase, réconforte, embrasse, remue aux tripes.
C’est le propre de la légende que d’arrimer solidement le réel au merveilleux. Et
surtout de ce réel fait des sentiments tortueux, tourmentés, torturés, des
êtres.
Si je n'ai que trop peu de souvenirs de ces contes et légendes qu'à peu près
tout le monde connaît (lavandières,
korrigans, Ankou, dames blanches), Gaëtan Lecoq revisite ici le genre à sa
manière, recréant d’autant mieux ces récits qu’il aura probablement arpenté
lui-même longtemps ces terres rattachées aux rites d’un autre temps.
L’auteur nous parle de
l'intérieur de cette bulle de mythes qui en vérité s'appelle l'endroit d'où
nous venons, même si beaucoup d'entre nous l'ont oublié, refoulé, tout
simplement pas connu.
Certains pourraient même l’appeler froidement, techniquement : la fiction.
C’est bien d’autre chose, comme d’un au-delà, dont il est question là, et dont
est fait notre pays.
Sinon ne serait-on plus que
des villes qui grossissent au milieu de caravanes de vacanciers consommateurs
plaçant le mot fête estivale au beau milieu du mot culture tout en faisant mine
d’apprécier ce qu’on leur offre-à-la-demande ? Vendre le tourisme comme
libérateur, puisqu’il fournira du boulot, comme a été bradé, dignité, culture,
savoirs, idée d’un peuple, transmissions. Plus que mémorielle, l’œuvre
industrielle du siècle dernier aura été de détruire, voir de faire disparaître,
et à défaut de ne pas y arriver, de transformer le maximum de gens en serfs
d’une industrie nouvelle. A l’image des langues. Transformer les servants
d'autrefois en de nouveaux serfs prêts à accueillir chaque année sa plâtrée de
nouveaux touristes. Sous la bénédiction de pierre des résidences secondaires.
Ce retour dans le passé en est donc plus riche et plus nécessaire encore.
Et aussi pour voir et savoir et mesurer ce qu’on a pu tuer et/ou, plus
simplement, ce qu’on a pu laisser disparaître, en nous, et hors de nous.
Lyrique, mystique, poignant,
ce pays est profondément inscrit, ressenti, dans et par le récit.
Ces nouvelles tissent la trame de la lignée des deux familles et ce qui finira
par leur arriver. D’un amour perdu dont on ne se remet jamais (m’a fait penser àma nouvelle SLF),
noires, déchirantes, donc forcément bretonnes, ces nouvelles nous parlent de la
douleur et redessinent les vies avec la
minutie d’une écriture qui a su observer et replonger dans nos quelques racines
encore visibles encore sensibles.
Du récit épique d’un naufrage
jusqu’à celui de la fille du patron fuyant l'emprise (et l'entreprise)
paternelle, les destins sont passablement merdiques et les amours forcément
très entravés.
Le temps a fait que les
Goulven et les Kermorvan, nichés dans leur partie de l’île, ont donné des ramifications d’êtres meurtris par la guerre.
D’une incroyable et si fine description de ce microcosme propre à un jour de
marché jusqu’à un très humoristique mais très médical toucher rectal,
ressurgira perpétuellement le conflit, du fait de jeux, d’enjeux, de rapports
de force, de pouvoir économique et de pouvoir tout court d’une famille sur
l’autre. Alors reviennent les figures légendaires, puisque ce sont elles qui
finalement parlent et font parler bien mieux que les vivants : Dames blanches,
moine rouge, Bag Noz emportant les morts vers l’au-delà, destin tourmenté et au
bord du gouffre, puisque c’est même d’un trou de l'enfer dont il est question.
Dans une fin épique et
lyrique, l’histoire en sera alors tout à coup éclairée comme le serait une côte
entière par un phare au milieu d’une nuit très sombre.
On pourrait s'étaler,
retourner le récit sous toutes ses coutures, en faire de multiples lectures, ce
fut un très beau moment que ce livre finalement assez court, mais d’autant plus
riche et d’autant plus dense.
Et puis j’y ai retrouvé
un pays perdu. Celui des contes épiques d’un autre
temps mais qui expliquent mieux que tout et que quiconque qui nous sommes
vraiment.
Merci Gaëtan. A conseiller
urgemment.
Gaëtan Lecoq, Des nouvelles deMelenez, Éditions la part commune.
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