jeudi 4 avril 2024

ÖPERATIÖN ACE ÖF SPADES

     Ne faites jamais ça : Quitter un bouquin aussi prenant pour aller vaquer à quelques occupations que ce soit, sous le prétexte, par exemple, d’un bête tsunami qui aurait emporté la quasi-totalité de votre famille alors qu'au fond vous savez bien que vous n’en avez même plus, bordel de merde, de famille.

J’ai fait cette erreur. Et ç’aurait dû m’être fatal ou du moins rédhibitoire. Comment voulez-vous recoller au monstre ? Réemprunter le sillon du bolide ? Retrouver les trépidations de la machine, aurait vêlé la Bardot au boeuf Gainsbourg ? Facile. Ca vient tout seul, y a pas à forcer le destin ; il est là, tout cru, prêt a régner, prêt à massacrer et il s’appelle Motörhead.

Je le savais. Que Patrick Foulhoux baignait dans son jus ; on ne se refait pas. Expression fausse puisque le gazier se refait constamment, passant du témoignage au travail fouillé du journaliste chroniquant  moult groupe dont nul quidam ici-bas, accroché au réseau tel le veau et ses ataviques compères d’abattoir à leur bavoirs, n’aurait souvent la moindre idée.
C'est dire si Motörhead, lui, il connaît.
Et son écosystème sur le bout des palmes, à l’image de Patrick Duffy nageant dans les eaux turquoises* d’une piscine de Miami avec cette même grâce duveteuse avec laquelle il jette un œil d’entomologiste compréhensif sur Mireille Mathieu dans “Together we’re strong”.**

Ça commence par un black-out sur la planète. Plus de son du tout. La cause : une zone blanche dans laquelle la terre se serait engouffrée. Un dysfonctionnement astral ?
Comme le dit l’auteur :
“Seule certitude, chaque seconde qui passe peut ouvrir une faille spatio-temporelle entre le maintenant et l’ailleurs, là ou jamais la raison humaine ne s’est aventurée”.
Si l’ennemi est le silence, la réponse sera donc : Le tréma sur le o. 
Et qui mieux que Motörhead, spécialiste en la matière, pour fabriquer ce mur du son au particularisme langagier si précis ?
“Déjà, à l’époque Hawkind, son premier groupe, Lemmy établit une cartographie du silence, son ennemi juré. Il l’épie. Le traque sans cesse. En composant des chansons, il s’attache à ne laisser aucun espace entre deux notes. Quand il monte un morceau avec le groupe, il demande aux autres musiciens de boucher les trous et de redoubler d’intensité afin d’imperméabiliser la chanson”.
Les services secrets sont sur les dents, la NASA ne dort plus. Le vaisseau Motörhead surgit alors des tréfonds de l'océan pour rétablir la balance et traquer le moindre silence.
“Bilan de l’opération, le son revient à la normale dans le sud de l’Europe, mais crée, de fait, un déséquilibre inquiétant avec le nord du continent qui continue de vociférer à 180 décibels. Les ondes suédoises, norvégiennes, danoises, finlandaises sont prises dans les watts. Toute la population tourne casaque. A la tombée de la nuit, des bûcherons se griment le visage pour aller décapiter des poulets en forêt et brûler des églises médiévales.”

Époque, musique, politique, tout y passe. Grand délire, barnum sauce folie furieuse, Patrick Foulhoux ne se prive de rien, et c’est tout ça, finement entremêlé, carburant au son du groupe et à ce qu’il peut occasionner à la planète toute entière (paradoxalement pour la sauver) jusque dans le monde du silence lui-même, qui est jubilatoire.
Pas de soucis d’ego ici, mais des haltères, puisqu’on y soulève du lourd. Poésie, élégie, héliographie, magie, damnothérapie, hymne de loufoquerie et livre poilant d’une richesse infinie.
Rien ne pouvait définir et honorer mieux le Ace of Spades du groupe Motorhead que ce turbo-livre ovni. 
OPERATION ACE OF SPADES, Patrick Foulhoux, Editions Mono-Tone.
https://www.mono-tone-records-editions.com/livresbooks/p/patrick-foulhoux-pratin-ace-f-spades

* : Patrick Duffy est un comédien américain qui s’est notablement faire remarquer dans la série « l’homme de l’Atlantide », cet homme-poisson qui évoluait grâce à des pieds devenus des palmes (il arborait, de ce fait, ou d’un autre, un maillot de bain jaune du meilleur effet).
 ** : Oui je sais, je mourrai indigne. Outre cette carrière génialissime, doublé d’apparitions aussi poussives dans la série Dallas, Patrick Duffy tentera une sorte de carrière européenne dans la chanson gluante. En résulta cette ignominie et la preuve, parfois, que le silence s’avère, malgré tout, nécessaire.


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