mercredi 28 février 2024

Désintérêt, inintérêt, cynisme et volonté de nuire sont dans un bateau

     Sur The Zone Of Interest, de Jonathan Glazer.

     Absorbé par les récits, sidéré par ce que l’humanité avait été capable de produire en matière de pire, je découvris les camps de la mort par ces livres de témoignages de déportés qui se succédaient sur une des étagères du petit bureau de mon père. Comme une porte ouverte sur le mal, qui était, à cette époque-là (adolescence), pour moi comme probablement pour d’autres, une trajectoire possible. On dit “peu importe le flacon pourvu qu’on ait l'ivresse". Ç'avait été un vertige, l’évocation d’un désir de domination et de violence, ces cimes de volontés de pouvoir que j’avais cru voir plus tard régner chez certains de mes contemporains, sous-tendant les rapports humains, interrogeant l’animalité prédatrice et sa capacité de cruauté.
Puis, après le vertige, l’incompréhension et le besoin de comprendre. Dans “la mort est mon métier”, Robert Merle dressait le portrait du commandant d’Auschwitz décrivant par là-même la banalité d’êtres frustres auxquels l’on promettait une ascension sociale fulgurante qui faisait s'accommoder ou même adopter les raisons et la logique du pire.
Puis, fan de BD, je tombai sur ce brûlot d’humour noir inévitablement trash (Vuillemin/Gourio, Hitler = SS), tout en saynettes hardcore affichant la monstruosité comme l’infinie misère humaine. Féroce, misanthrope mais qui déjà ironisait sur l'idyllique propriété d'un commandant de camp de la mort tout en jardin fleuri, en amour des fleurs, en animaux mignons, au sein d’une famille parfaite (image plus bas). Bande dessinée si visuellement radicale et aux traits si terribles qu’elle fut retirée de la vente et interdite à la diffusion par des comités d'anciens déportés. Pourtant jamais, bien au contraire, elle ne contestait ce qui était arrivé ni son ampleur.
Puis au “Si c’est un homme “ de Primo Levi vint Shoah, de Jacques Lanzman, qui interrogeait le silence et ce qui nous en restait dans le temps présent, et aussi celui de ces locaux qui avaient vécu avec où à proximité de l'application industrielle du meurtre.
Silence et images fixes disaient l’entêtement, l’incompréhension mais également la difficulté à transmettre des survivants puisqu'on ne peut dire le traumatisme sans qu'il n’y ait une écoute à la hauteur. Et s’il y a peu d'écoute, probablement plus maintenant du fait du brouillage propre à une intercommunicabilité tout azimut, on devine qu'il n'y en eut moins encore à cette hauteur-là et à ce niveau-là.
Restait alors l’assourdissant silence, et désormais ces formes d’évitements, de ceux qui ne veulent pas entendre ni trop spécifiquement remettre en question, jusqu’à l'expression d’un “détail de l’histoire” qui finalement, de par ce statut conféré, serait alors amené à disparaître, et les raisons qui l’ont amené avec.
Peut-être fallait-il alors de plus explicites, significatives et suggestives images d'absence en même temps que de grande proximité, comme celles du film de Jonathan Glazer qui, elles, disent mieux et plus simplement que jamais. Du fait de la présence de la réalité du camp lui-même, usine efficacement redoutable du passé, décor du film racontant cette même efficacité de jour comme de nuit dans un vrombissement (vomissement ?) permanent qui surgit au-dessus des murailles, tout en brêves visions de l'enfer.
Banaliser, banalité.
Cette même banalité propre à notre temps présent, d’un travail journalier par exemple, de celui qu’effecturont, des années plus tard, les femmes de ménage de ces salles de visite mémorielles qu’est devenu le camp lui-même.
Comment parler d'Auschwitz ? Se taire, écouter, lire, entendre, interroger et arrêter enfin ce temps pour ça, ce temps qu'on devrait impérativement avoir, pour justement pouvoir prendre le temps, ce que contredit tragiquement notre monde à nous dans sa furieuse marche en avant. Le temps c’est de l’argent ou le nerf de la guerre, dit-on, constat primaire à partir duquel toute monstruosité redevient possible, trouvant immédiatement en son gestionnaire aux ordres sa justification. Dans la réalité et celle du film, Gestionnaire-Logisticien en chef pour monsieur le commandant, tout à la perpétuation de son mode de vie confortable pour madame. 

“On a réussi Rudolf, on a réussi “ dit Hedwig à son mari, elle qui ne veut perdre son petit paradis au moment où l'entreprise de monsieur (le Troisième Reich), souhaite le déplacer à la direction d’un autre camp.

Tout, dans notre monde, dit et rejoint l’inhumanité qui a préfiguré, mis en place puis perpétué cette monstruosité-là : L’économie, la gestion, désormais la numérisation, la mécanicité des rapports humains, la froideur radicale qu’elle sous-tend, la déshumanisation progressive, la hiérarchisation des vies, le travail élevé en culte indiscutable, jusqu’au refus obtus de vouloir voir survenir un autre monde (meilleur, possible, voulu). La monstruosité, en nous et hors de nous, est en marche, sans même avoir besoin de nous, d'ailleurs, ni même d’invoquer notre adhésion.
Désintérêt, inintérêt, cynisme jusqu’à la volonté de nuire, des ponts relient ces termes, voilà ce qui fait de ce film important probablement un des plus nécessaires du moment.

Il interroge notre époque et notre humanité tout en nous prévenant que celle-ci pourrait très bien nous en coller une si l’on s’exonère de l’envie de chercher à vouloir la comprendre, et surtout à en souhaiter une meilleure.
A peu de choses près (il suffit parfois de le voir dans les gestes d’une caissière ou dans le regard d’un chef de rayon) notre époque génère les mêmes stigmates que ceux qui ont fait venir les nazis au pouvoir : pression, frustration, isolement, rapports de force, efficacité, performance, précarité, chômage, compétition, compétitivité, compétence.
Un temps cariste, j’ai œuvré dans ce qu’on appelle la logistique. Les nazis furent les champions hors-catégorie de ce secteur d'activité en expansion continue. C’est pas du mal, dont on parle, mais de la normalité, de la banalité et de l'œuvre d’un inlassable et parfois même très honnête travail quotidien qui fait qu'on n’a pas à s’occuper ni à regarder chez le voisin.  D'ailleurs, le voisin, il peut crever. Et puis chacun sa merde.

On parle de film effrayant, glaçant ? Non, ça n'est qu'un film, et aucun film ne l'est, c’est notre époque qui l'est, glaçante. 

mercredi 21 décembre 2022

Qavatar

 Ce qu’il faut comprendre c’est l’enfance et ce qu’il nous en reste.

Ce qu'il faut comprendre, c’est l’absolue et passionnante légèreté, au fond, d’un jeu, où l’on défend sa petite chapelle, autour de laquelle, comme n’importe quel village, on aurait besoin de se retrouver pour croire, se faire croire ou même vérifier le fait qu’on ferait parti intégrante d’une communauté.

Penser, enfin.
Ce qu’il faut aussi comprendre c’est le collectif. Et l'idée collective qui n'empêcherait pas à l'individu "d'exister", bien au contraire (« de s’exprimer », terminologie significative du foot, l’expression étant celle des pieds tandis que le langage lui, ne serait plus que quelques mots-clés).

Si Macron a instrumentalisé à outrance ces moments tel un message à passer à la nation, il sait surtout que cette même nation est en partie happée par la dramaturgie du déroulement d’un match pareil (la finale), à l'image d'un film improvisé un peu dément.

Après tout, ne préfère t’on pas la fiction au réel ? Ce qu'ils créent et ce qui fait que ça marche si bien, c’est qu’ils fabriquent une fiction en temps réel, sans scénario, en improvisation permanente tout juste bornée de quelques règles (d'arbitrage).

Là où tout raisonnement (nécessaire, conscient, argumenté) venant de l’extérieur deviendrait un inutile, négatif culpabilisant et froid ballon de baudruche vide de sens émanant de personnes “qui ne connaissent rien au football” (probablement, mais là n’est pas la question/ comment fait on pour se comprendre si on ne parle pas de la même chose ?). De ces personnes qui n’auraient donc pas voix au chapitre.
Parler Football équivalant finalement au fait de ne parler de rien.
Les gens savent, enfin à peu près, ce qui se passe et s’est joué au Qatar. Mais, en vérité, ce qu’ils répondent, c’est :
- Et alors ? 

Des dupes ? Des imbéciles, incapables de comprendre, des cyniques, ou plus communément, et dit par certains, des collabos ?

On peut effectivement le voir comme ça, quand tout esprit critique est évacué, mis à mal, volontairement escamoté, stigmatisé, là où on ne se contente plus que de parler que du contenu d’un match, comme si celui-ci devait être sa seule justification du fait même qu'il existe et qu’il emporte les foules ? (comme d’un cinéma bankable qui remplirait les caisses).

Mais pourtant, de quelle sorte de collaboration parlons-nous alors, dès lors qu’il est question d'un jeu et d’enfants qui le regardent émerveillés ?
Et pourquoi tu te révoltes pas coco ?
D'une, parce que tant qu'on me refile du foot, un salaire et Noël, ça me va, ça me détend, je peux penser à rien, deux, parce que justement, le foot, c’est avant tout un jeu, un kif, une joie, une fête, une angoisse feinte à se faire peur ou à pousser la chansonnette ensemble, une légèreté sans (apparente) conséquence dans un monde décidément trop dur, un rassemblement collectif qui justement met cette dramaturgie en scène, et parce qu'enfin, tu aimes le spectacle, au fond, comme tout enfant, et que ce jeu, ben c’est un peu comme celui de la vie (qui se jouerait alors sur un terrain).

Et tu te révolterais, toi, contre l’expression de la vie ? Contre la joie de vivre, de se sentir vivant ? (et ce même pour des raisons pitoyables, forcément coupables ?)

Dans le monde Macron, l’instrumentalisation politique, la récupération et la recherche de l’assentiment populaire sont les éléments qui lui ont fait  utiliser l’évènement pour faire passer des messages “symboliques” (se serrer les coudes en période duraille, sourire au bel azur publicitaire) à la nation.
De l'autre, militantisme et volonté de recherche de conscientisation virent parfois malencontreusement à la culpabilisation, et de ce fait, devenant injonction, met
tent à mal le propos qu'ils voudraient servir, lorsqu’il ne parle plus à personne, lorsqu'il rabâche ses mots clés ou ses justifications (arguments) finissant même parfois par virer approximation. Jusqu’à ce que les militants se rendent compte qu’il n’y a plus personne, dans la classe, auprès du prêche, au pied du crachoir, à les écouter, et que bien au contraire, tout le monde aura été se réfugier dans le gymnase d’à côté où palpite la vie, la chaleur, l’autre, la passion, le frémissement, mais aussi et surtout l’action où l'histoire-même, tiens, sait-on jamais (le foot, énième paradigme, créant désormais sa forme d’histoire parallèle / sentiment de peuples qui ne voudraient plus du réel ? Ou seulement d'un hyper réel fabrique pour ? Qui en ont suffisamment bouffé ? Qui finalement s'accorderaient de ce mensonge puisqu'il les conforte dans l'inaction et le refus d'agir ?)

Oui, aussi, probablement.

L'Ukraine et toutes les crises sociales sur lesquelles on aurait alors plus du tout de prise, reléguées au second plan ? Oui, mais pour un temps, autorisé, entre 28 minutes de pub, car le réel du monde, les chaînes d'infos et ta propre vie sont là pour te le rappeler à chaque instant.

Casser ce jouet, celui de cet enfant que nous sommes parfois devant ces spectacles ? Pour quelle réalité devenue quasi-impossible à infléchir ? Et pour la remplacer par quoi ?

Utopie ?
Mot qui porte en lui-même l’expression de sa quasi-impossibilité finale ?

Et puis il y fait chaud, dans ce gymnase, et on y vit des émotions folles et légères, parce qu’on est bien, là, à hurler, tous ensemble (tous ensemble, tous ensemble, ouais !) même si hurler sur ça et pour ça et comme ça, peut sembler dément au regard d'une civilisation se disant développée ou seule la culture devrait apporter richesse et partage.

Reste la naïveté enfantine du jeu et son efficacité, puisqu'elle touche tout le monde tout le temps, un nombre impressionnant de gamins ayant été formé dans des petits clubs, de villes en villages, ce qui en explique en partie l’engouement et sa portée
 d’innocence donc de quasi-sacré.
Mais que reste t'il de
s jeux d’enfants au milieu des enjeux adultes ?

Nous, les spectateurs. Prêt à admirer l'enfant du bourg et à huer celui de l'autre, jusqu’à finalement ne plus exister qu'autour de ça, ou par ou pour ça.

Le foot instrumentalisé politiquement ? Du fait de son irrésistible et désormais très mondialisé succès, oui, par tous les bords et encore plus maintenant.
Car effectivement, s’il ne devait y avoir qu'une vérité constitutive de la réalité, elle serait simplement faite de ça :
- Crise 2008.
- Besoin d'argent (entreprises, etc)
- Rapprochement (à L'Elysée) Sarkozy-Emirats-Platini (UEFA, copain européen influent de la FIFA).
- Obtention de la Coupe du Monde de Foot au Qatar (2010, tiens donc)
- Reprise du PSG par un émir Qatari se proposant de financer le bazar
- Gros pognon
- Soft power et réseaux d’influence.
- Hollande et son ministre signant des contrats d'armement et autre avec le Qatar
- Mallettes de biftons.
- Business plan.
- Constructions à tout-va
- Erections hors-normes de tours high-style (Dubaï, Doha, etc)
- Développement exponentiel d'un pays devenu ultra capitaliste (tout en restant un régime féodal/ la Chine doit en être jaloux)
- Architectes occidentaux bankable
- Chantiers démentiels refilés aux industriels mondiaux du BTP
- Négociation et médiation (contrepartie, un service contre un autre)
du Qatar dès lors qu'un otage occidental se fait enlever dans un pays du Maghreb (Iran, Irak, Syrie, Arabie saoudite, Yémen, Afghanistan, organisations islamiques de tout poils)
- Intérêts pétroliers
- Intérêts gaziers
- Intérêts financiers
- Géostratégie
- Désormais the place to be
- Coupe du monde
- Centre du monde
- Guerre
- Crise énergétique
- (ça tombe bien, on a du) Gaz liquide en quantité démentielle (frottage de mains)
- Corruption de fonctionnaires Européens
- Dépendance énergétique avant dépendance tout court ? Ou simple partenariat entre pays riches ?

Bref, le monde des adultes.

Que viennent donc faire là Mbappe, Messi et tous les autres, ces centaines de gamins jouant sur un terrain de foot comme sur celui de leur enfance, sinon pour servir de boules de Noël ou de paravent afin de cacher la misère d'une sinistre arrière boutique capitalistique ?

Le Qatar fut longtemps un trou paumé pauvrissime uniquement habité par des pêcheurs faméliques trimant jusqu’à ce qu’ils découvrent (par le biais des occidentaux ?) que leurs sols regorgeaient de ressources énergétiques exploitables.
- Leur en voudrait-on, alors, à eux, de s’enrichir, de s’être enrichi, un pays du Maghreb étant forcément “douteux” par rapport aux habituels richissimes et dominants pays occidentaux qui s’en sont toujours foutus plein les fouilles justement en exploitant les ressources des autres à leur profit ? (généralement sans en laisser une miette, esclavagisant les populations à outrance).
Le très clinquant capitalisme Qatari rentrerait-il désormais en résonance négative avec le nôtre ? Qui s’essaie à être plus “branchouille”, tentant la discrétion,
jouant l'égalitaire, presque éco responsable, mais qui d’une façon détournée et après avoir pollué et pourri définitivement le monde en un siècle d’industrialisation mortifère, se met tout à coup à faire des leçons à tout le monde ?

Où lui ferait-il simplement ombrage ou mieux, dans son expression-même, concurrence ?
Les homosexuels ? Tous les pays régis par la religion musulmane ont une très fâcheuse tendance à promouvoir une chasse grandeur nature à l'homosexualité (ce que fit bien longtemps et encore philosophiquement et psychologiquement le catholicisme ici-bas). Quand ils ne pendent pas ou ne décapitent à tour de bras.

Chantiers BTP ? Ouvriers morts ? Ou sont les organisations syndicales autres que plus ou moins patronales dans nos pays à nous, à tout à coup se rapprocher du sort des ouvriers alors qu’il s’en cognent ainsi que les pouvoirs publics et la population ici bas le reste du temps ? (en des années d'ouvrier du bâtiment, je n’ai jamais vu la moindre présence syndicale autre que celle du patronat. Encore moins la ligue des droits de l'homme).

Gageons que 10 ans de travaux titanesques comme ceux du Qatar n'importe où et il serait bien possible qu'on en finisse vite par comptabiliser un nombre de morts ou d'éclopés avoisinant le chiffre en question.
(La vie de chantier)
Croyons nous vraiment, que nombre de ceux qui regardent ébahi le visage tout entier rendu à l’enfance ces matchs de foot, sont complètement dupes de ce qui se passe dans l’arrière boutique de cette sorte de capitalisme-là ? De ces sortes de pays-là ?
Le jeu et l'enfance sont innocents dans un monde qui ne l’a, en vérité, jamais été.
Peut-être prenons-nous alors simplement conscience de ça, plus que jamais. De ses multiplicités de traduction et de lisibilité du monde qui font qu'on peut en haïr profondément un aspect (géopolitique, géostratégique, sociétal, intérêts financiers, corruption, féodalité du pays choisi) tout en en adorant l'autre ? (jeu, sport, enfance, innocence, communion populaire) ?

Le jeu est probablement la seule chose innocente qui reste à l’humain et le fait encore se mouvoir et ouvrir des yeux émerveillés.
Comprendre cette enfance-là, cette soif d'enfance là, qui quelque part raconte toujours des histoires auxquelles l’on pourrait croire. Cette soif et ce désir sortis pour un temps de la normalité d'une vie auquel s'attacherait le boulet social, sociétal, et qui ne demanderait rien d’autre que de s’en extraire pour rejoindre ce qui pourrait ressembler (religieusement parlant, les sud-américains le savent bien) à une célébration.

De la vie ? De la cohésion ? Du partage ? D’une certaine joie ? D’une idée commune ? Du sentiment enfin d’exister dans un monde qui t’écrase la gueule ?
Un peu tout ça à la fois.

Le problème n’est pas le jeu, les joueurs, presque même l’organisation qui quelque part permet à cette part d’enfance de continuer à vivre, ni même ces enfants de spectateurs que nous sommes tous parfois, le problème c’est d'une réalité qu'on est incapable de changer au milieu d’une bérézina de promesses déçues.

Là que le vrai monstre s’insinue, thématique publicitaire utilisant ce terreau d’enfance pour l’instrumentaliser, le dévoyer :
“Gros gains, gros respect.” qu'
il susurre alors à l'oreille de l’enfant, victime désignée, le monstre publicitaire cynique, sans que cela ne semble plus déranger personne, à cet enfant qui croit ce qu'il voit, vit, ressent. Fric, pouvoir et promesse de domination comme s'il n'y avait plus que ça, comme modèle de vie et d’horizon possible.

C'est Publicis et consorts, les vrais criminels, les vrais collabos, qui devraient impérativement être mis au ban, envoyés à la cour pénale internationale, avec Poutine et consorts
La compétition
(traduction : çui qu’a la plus grosse/ mot cher aux ultra-libéraux de tout poil) footballistique fait le reste. Ca et désormais le pied glissé par ce charmant pays dans un coin de porte de la communauté mondiale, en influence qui se voudrait désormais prioritairement décisionnaire (j’ai le pognon, alors ferme là). Et au-delà de la corruption de fonctionnaires européens, ce sont désormais les menaces, qui viennent.
De couper quoi, le gaz ?

Tenir le coup, et relever la tête.
Mais pas pour glaner une autre coupe du monde.
Pour que cette fiction-là ne devienne pas la seule et unique réalité.



dimanche 27 novembre 2022

Une trière bourrée de cigüe

Périclès avait été un grand gardien de but.
Dans la région du Péloponnèse, ses exploits s’étaient répandus et désormais chaque dimanche, une foule de jeunes athéniens couraient derrière la tête du Spartiate du jour, qu’un parent attendri renouvelait lorsqu’elle se gâtait un peu.
Un jeu mal défini, sans règles.
Mais la civilité de chacun fit que bientôt, aidé par un naturel patricien, ils ébauchèrent un système à base de passes, de têtes, de dribbles, puis de contrôles orientés, dans une atmosphère de paix, de générosité et de camaraderie basée sur un échange sincère où le méchant tacle n’était pas trop le bienvenu. Le concept de beauté s’incrusta alors dans ce jeu qu’auparavant on aurait pu trouver carrément con-con.

A Athènes, le jeu n’était pas seulement jeu, mais sujet de réflexion, puis concept, que les sophistes, chômeurs de longue durée de l’époque, se mirent alors à théoriser à tour de bras.
Et c’est là, à l’ombre d’amphithéâtres ruineux où officiaient ces assistés, que le jeune, glabre et longiligne Socrates fit ses premières armes, sur un terrain poussiéreux où s’affrontaient systématiquement la discorde et la mésentente.
Ce fut également vers ces années-là où les nuages d’une guerre imminente s’amoncelaient dans le ciel de Grèce, que ce même Socrates, mine de rien, commença à acquérir l'art de la dialectique auprès de ces inactifs. Bien vite, on lui refila des têtes de Spartiates pour qu’il puisse s’entrainer lorsqu'il le désirait.

Socrates naquit du tailleur de pierre Sophronisque et de la sage-femme Phénarète, qui plus tard, lui donnèrent un jeune frère, Raï. Passons sur Sophocle le dégénéré, banni par la famille à la suite d’un match assez lamentable, qui, s'il fit montre d'un jeu plutôt novateur, succomba vite à son caratère sanguin face à des adversaires rugueux et avec de l'expérience
Bref, comme tout jeune ambitieux, Socrates se castagna pour imposer son jeu : Bataille de Potidée, Délion, jusqu’à Amphipolis où un certain Platon commença alors à lui coller au train pour lui piquer cette balle qu’il ne perdait plus, car il était devenu redoutable technicien et jonglait comme un demi-dieu.
Ce fut également vers cette époque, alors que de fulgurants émois lui faisaient découvrir la musculeuse langueur platonicienne sous la douche, que des recruteurs de l’AEK Athens lui fondirent dessus.
Tacticien formidable, son jeu plaisait.
Dialecticien au sommet de son art, son style déroutait.
Alors commença une immense carrière toutefois entachée de quelques égarements.
Dont ce quart de finale perdu, car sa théorie bâtie sur la raison se heurta au formalisme obtus du goal adverse, qui rejeta d’une façon abrupte la didactique impitoyable sur laquelle il s’adossait dans les seize mètres, et ce grâce à la barre transversale.
Après une longue carrière nationale et internationale où il ne glana plus rien car il passait le plus clair de son temps à pérorer tout seul, ce qui maintes fois, déclencha les foudres de sa propre équipe, il réussit toutefois quelques bons matchs dans l’équipe trois de la réserve B de l’AEK Athens.
Marié depuis 15 ans à Xanthippe, femme acariâtre avec qui il avait eu trois gorets bourrés de féta et de moussaka CEE l’obligeant à mendier une hausse de salaire à son club, il dut alors supporter l’indécence d’une sorte d’assistanat, en plus de se savoir déjà très laid et beaucoup vieillissant (Ribérysme).
Alors il commença à boire, s’invitant à philosopher chez des gens qui possédaient une cuisine romaine comprenant un bar rempli d’amphores.
Ce fut vers cette période où une certaine fragilité s’emparait de lui, que Vincent Duluc, scribe en vogue à la gazette de l’Acropole, commença alors à le dépeindre :
- Socrates croit en la supériorité de la discussion sur l’écriture, ainsi, par manque de concentration, il a toujours loupé un nombre incroyable de buts car il a toujours parlé sans discontinuer dans la zone de jeu plutôt qu'agir, méprisant tout en même temps feuille de match et directives du sélectionneur (sous-entendu ce con).
Sur son esprit, et avant de pénétrer sur le terrain, ce qui parait-il, enfonça Socrates dans une dépression fatale :
- Ce qui le rend plus généralement cafouilleur, ce sont tous ces mythes que nous trouvons dans les dialogues qui concernent l'âme, son origine, et son insertion dans le corps…
Font-ils autre chose que noter en termes de pensée platonicienne une émotion créatrice, l'émotion immanente à son enseignement moral ?

Néanmoins, quand on le questionnait justement à propos de ce même terrain, Vincent D haussait les épaules et soupirait, l’œil vide mais qui s’interrogeait :
- Certains joueurs sont très énigmatiques, voir un peu taciturnes, et c’est souvent ce qui fait qu'en défense ils explosent à un moment donné ».
Puis il enchaînait :
- A propos de la dialectique socratique, on peut reprendre ce que Kojève disait au sujet de la dialectique hégélienne, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une méthode : il ne s’agit pas d’une convention ou d’une invention au même titre que la logique aristotélicienne. C’est une réalité ; elle est existentielle. Autrement dit, chez Socrates comme chez Kierkegaard, l'arriere-droit scandinave, on est en présence d’une dialectique ironique : l’existence est ironie, je suis moi-même une question, je suis insoluble, je ne suis pas l’objet d’un savoir et je m’échappe. Donc en gros, voilà pourquoi il n’aurait pas surnagé à la pression du terrain, si je peux m’autoriser à dire ça, et c’est certainement pas Duga qui me contredira, hein Duga..

Ce qu'il faut noter toutefois et avant tout, c'est que certaines de ces phrases dans les vestiaires resteront comme les directives d’un grand leader :
- Ceux qui désirent le moins de choses sont les plus près des dieux (il faut savoir se faire oublier sur un terrain)
- La sagesse commence dans l’émerveillement (si c’est pas parce qu’on vient d’en coller un qu’il faut se désunir, faut pas non plus gâcher son plaisir et avoir conscience en ses capacités)
- Connais toi toi-même (et ton ailier saura où tu es)
- Ce qui fait l’homme, c’est sa grande faculté d’adaptation (même si on te marque à la culotte, fous des coups de genoux comme Théo Hernandez et balance le ballon à Mbappé, il finira le boulot).
Socrates fut incapable de s’adapter à son dernier cocktail : Une cigüe-orange arrangée servie à 3 h30 dans un club gay d’Héraklion où sa sagesse l’avait guidé une dernière fois.

samedi 29 octobre 2022

Qu'attendre du Qatar

Né né, je ne boycotterai pas le Qatar.
Le Qatar n’a manifesté aucune hostilité à mon encontre.
Le Qatar a tout à fait le droit de se présenter en pôle d’attraction des débiles du monde entier un mois durant, il fait ce qu’il veut de sa vie, tant qu’il n’attente pas à celles de ses concitoyens (sujets ?).
L’histoire en avait si souvent répétées, des si lugubres complaintes : D’opposants à Videla (Argentina 78) à chairs à canon aujourd’hui depuis la sainte Russie de 2018 (n'aurait-il pas fallu la lui laisser, sa coupe, au maréchal Poutine, puisqu'il y aurait probablement vu là grandeur d’une nation et d’un peuple et qu'il n’aurait peut-être pas été faire chier le reste du monde ensuite ?).

Evidemment, 6500 morts sur une période d’une dizaine d’années (ce qui n’en amoindrit évidemment pas la dégueulasserie), ça fout carrément les jetons, mais n’y aurait-il pas eu, sous la pression des organisations, de très notables améliorations depuis ?
Et puis QUE 50 morts en 2021, qu’on vous dit !
Entre parenthèse, je me souviens assez peu de la présence de la LDH sur les chantiers du bâtiment ici-bas (intérim, cadences, sécurité en berne, rythme hardcore, pandémie, Lafarge, etc) et encore moins celle des syndicats (ce qu’on reproche également au Qatar), puisque pas le genre et que tout le monde, et surtout le patronat, s’en contente très bien.
N'y aurait-il pas aussi, quelque part, caché derrière, une forme larvée de connotation raciste ?
Alors oui les homos les femmes, probablement des décapitations à tour de bras dès lors que tu te ramènes à allumer une clope, mais sommes nous beaucoup mieux, nous, avec nos CAC 40, nos précarités, nos étudiants qui bouffent aux restos du cœur, nos chasses à migrants, nos business school, nos Pôle emploi sauce flics, nos médias de l’ordre et de la sécurité et nos emplois chez Uber Eats ?
Ne serait-il pas mieux de refuser cette société capitaliste en son ensemble, le capital étant cul et chemise avec l’Etat, bon cochon de grand frère qui lui montre tout et que l'
autre idiot suit aveuglément ?
Ne faudrait-il pas simplement refuser le travail ? Parasiter d'une façon ou d'une autre ces matraques-médias relais de l'ordre (moral aussi), de la sécurité, de la norme, de la perpétuelle adaptabilité de l'humain au marché ?
Reconnaissons
que le couple Platini-Blatter, à l’époque, après sa pause clope entre les deux mallettes d'un représentant Péruvien d'un consortium Panaméen, eut tout de même une certaine noblesse à essayer de privilégier « l'universalité» du choix de l’endroit de la compétition. Nos amis arabes n’ayant jamais rien eu sur le dos, à part la colonisation, CNews et désormais Zemmour, l’idée aurait alors été de la leur refiler afin que ça ne finisse pas une nouvelle fois dans les poches de fonds de pension de pays prioritairement occidentaux, friqués, à domination blanche, déjà très investis dans le bonheur capitalistique, et qui l’avaient déjà glané un paquet de fois : France, Italie, Espagne, Allemagne, Suède, Russie, Angleterre, Brésil, USA, Corée du Sud, Uruguay (before la Second World War). N'était donc t’il pas temps que le grand remerciement mondial des marchés sous couvert de jeu, de pain, de pays et de visibilité d'icelui, revienne décemment un peu, rien qu’un peu, au Moyen-Orient ? Qui lui aussi, brillait en bon phare capitaliste ?
Calcul géostratégique, love pour le pétrole ?

Je ferais l’impasse sur, parfois, cette sorte de volonté de la FIFA de se gargariser du prétexte d'apaiser des tensions, et pire, d'involontairement (non non) vouloir nous la faire Georges Bush ramenant la démocratie (le libéralisme) chez les pas comme chez nous, Platini n’ayant, il me semble, jamais été beaucoup plus loin qu’aux 16 mètres lorsqu’il plaçait un coup-franc redoutable dans la lucarne de l’ennemi juré.
Bref, la géopolitique, sauf un peu
celle de son milieu de terrain contre l’Allemagne en 1982, ne fut jamais vraiment la préoccupation première de notre triple ballon d’or des années 80, puisque chez lui résultait surtout le fait d'être efficace pour "gagner le match".
Bref
, je m'égare, mais c'est le propre des Garrincha ou autres Sidney Govou du monde entier, trop souvent laissés à eux-mêmes à se perdre dans leurs dribbles le long de la ligne de touche (poke Jérémy Doku), à chercher à y voir le jour (poke Jacques Brel) en faisant la passe décisive, pour sortir de cette enclave et aboutir, quelque part, à quelque chose. Tout ça pour dire que s’il y eut calcul, hormis ce zeste de morale bien compassionnelle propre à l'occident, le résultat du choix avait probablement et prioritairement été décidé du fait d’une suffisante accumulation de devises (capacités financières du pays pour organiser un tel évènement). Susucre ? Cadeau ? Encouragement dans le sens de la démocratie (libérale) ? Avec notre passé, nous n’étions à l’abri de rien en matière de cul-bénit cherchant à s’excuser, à se faire pardonner, à rattraper sa culpabilité. Puisqu’après avoir massacré, déstabilisé, exploité, ratiboisé, ravagé, humilié, il était désormais de bon ton de la ramener en se proposant de venir faire les soins à domicile (pourvu qu’on domine toujours le marché et qu’on continue à y distribuer les cartes).
A propos de l’Afrique, il eut été difficile, sinon en endettant encore plus une population déjà très à l’agonie, de fourguer une coupe du monde à (par exemple) un Burundi dont le PIB équivalait à 12 euros par tête de pipe, et qui trainait déjà le boulet d’une dette abyssale envers la chine en plus d’un crédit illimité chez Wagner. Et puis, en guise de pays africain, il y avait eu Knysna 2010, l’Afrique du sud et ce foutu bus qui démarre plus.
De plu
s, une éminente représentante de la Nupes n’avait-elle pas dit que Benzema c’était formidable, étant donné qu’il payait quelques bouts d’impôts chez nous, alors quoi ?
En dernier lieu, j’étais piqué de foot, viru
s probablement choppé en enfance, cette période trouble, mais toujours est-il que le symbole d’un collectif dont les membres créent quelque chose ensemble (le jeu) en affrontant un autre pays sans remettre en cause le tracé de ses frontières, le pilonner de bombardements ou y projeter ses colonnes de chars d’assaut (autres qu’Mbappé, Halland, Benzema), ben voyez-vous, moi, l’idée, elle me plaisait bien.
Évidemment, sa capacité à taper dans un ballon et « à les mettre au fond » ne disait pas grand chose sur les caractéristiques d’un peuple, cette idée étant même la pire, puisque basée sur un bon chauvinisme (domination) quand ça n’était pas un reste/zeste de supériorité d’une (race) ethnie rapport à une autre.
Mais tous les pays (qualifiés) du monde y jouait, et d’après ce que j’avais cru comprendre, la meilleure équipe sur le terrain était supposée gagner.
Comme j’avais pu aussi le remarquer dans la vraie vie,
le foot avait pourtant bien tout pour être ce redoutable foyer à imbécillité profonde (souvent mâle et groupé, d'ailleurs, le foyer, probable réminiscence animale remontant des grottes lorsque vient l'hiver et la période des ours).
Toutefois, l’on pouvait aussi s’y amuser, préférer ça à de
très réelles guerres et surtout voir derrière ces dits « enjeux », la simple et plaisante notion de jeu, qui donnait telle une fenêtre sur cour sur notre rapport à l’enfance, à l’autre, à la relation, à la vie.
Et cette idée, ben elle me plaisait bien aussi.
Outre la gabegie financière en faveur, comme toujours, des puissants, restait évidemment la climatisation dans des stades entiers en cette période climato-merdique.
Mais quid de submerger de béton cette ville qui est mienne (par exemple), en y rasant parfois des quartiers entiers et un nombre incroyable de vieux bâtis (terre, pierre, torchis) ?
Pas sûr qu’on
soit beaucoup beaucoup beaucoup mieux loti.

dimanche 9 janvier 2022

Sur la planète TITAN(E), de Julia Ducournau


Titane est une très belle et très radicale histoire d'amour mettant en scène la différence et la souffrance. Une histoire de perte et de redéfinition de soi.
Julia Ducournau s'embarrasse peu de dialogues, les personnages le font à travers leurs corps. Et en particulier pour Alexia-Adrien, jouée furieusement par Agathe Rousselle, puisque le cul est un transport, un véhicule et un média, et la façon la plus directe d'aller à soi.
La réalisatrice semble chercher un sens à son propre cinéma, tout en réglant l'équation en cours de route, puisque le vrai sens du sien est de regarder se transformer et devenir.

Au-delà même d'un Cronenberg souvent trop cité, Ducournau trace (traque ? matraque ?) le désir dans la chair de ses personnages, les scarifiant pour en faire sortir le pire ou le meilleur, tandis que leur histoire s'écrit avec et autour d'eux. La liberté serait-elle tout entière nichée dans la libido ? L'humain reprendrait-il enfin la main sur sa propre libido donc sur sa vie, quel qu’en soit le prix ?
Une belle palme pour l'amour toujours et plus que jamais. S'il me souvient avoir été sidéré par Grave (pas par sa fin, qui donnaient des réponses dont on se serait bien passé), j'ai été remué par la grâce de ce Titane plus léché et plus abouti que jamais.


Le rejet de toute discipline (malgré ce carcan de la contrainte qui la fascine et fait finalement sa force) est la racine de son cinéma, et au-delà, de son être. En témoigne, pour ceux qui l'ont vu, l'enfant dans la voiture du début du film, comme déjà d'un inquiétant portrait d'elle-même. Finalement au début, dans la vie, rien n'est grave, semble t' elle dire, avant que tout ne s'aggrave. Mais ne faut-il pas ça, justement, pour se libérer ?

Julia Ducournau arrivera-t-elle à faire longtemps l'équilibriste entre cinéma de genre (donc de niche et/où, pire, de marché) et dessein poétique (politique, philosophique, psychologique) personnel ? Chez elle, les deux fonctionnent et semblent se mêler et se répondre à merveille, tel un organique heureusement lié à la mécanique, mais jusqu’à quand, et comment ?

Ainsi, la transformation est également dans le regard. D'une vulgate populaire où des nanas matées par des hordes de mecs se trémoussent sur une piste de danse, on vole au passage le regard gourmand de sa comédienne (coincée dans un corps d'homme) sur des hommes dans une scène d’une sensualité sans pareille.


Kechichienne et languide, Julia Ducournau transforme alors l'univers du mâle alpha en antre techno-gay, avant d'inverser les codes dans le tableau (purement machiste) de la fête suivante, comme pour faire se percuter ou du moins confronter les genres afin d'interroger l'exhibitionniste comme son voyeur.
Paradoxe que cette Alexia-Adrien donnant la vie tandis qu'une moustache lui apparaît. Vie, mort, transfiguration, nativité. Biblique, vous avez dit ? Oui mais pas vierge et encore moins Marie. Comment combiner tout ça, tous ces nouveaux facteurs de vie sans pour autant orchestrer leur destruction totale ? Sexe, rapports, relations, constructions sociales, technologie, violence privée, sociale ?

Pas vraiment de références langagières dans ce cinéma-là, Julia Ducournau cherche une nouvelle forme de cinéma comme pour se trouver elle-même.
L'homme, le mâle, n’a plus rien à dire avec le média cinéma, son regard est ancien, normé, en fin de course (au mieux), ni sur la vie et encore moins sur le corps, puisqu'il a épuisé tous les stratagèmes pour utiliser et se servir tout azimut de celui de l'autre.
Et même et surtout lorsqu’il figure des femmes dites libres au cinéma, il s’arrange toujours pour les coller dans une confortable nappe de morale, versée de famille, d’un ordre patriarcal qui ne serait finalement pas si méchant que ça (tant qu’il distribue toujours et encore les cartes).


L'humanité de Julia Ducournau va pourtant jusqu’à regarder cet homme-là (père perdu) avec beaucoup d'affection, et peut-être même pour le soutenir à son tour, inversant par là ces rôles traditionnellement dévolus où l'homme était sensé "soutenir" la femme.
La cinéaste aime les hommes, mais certainement pas à sa place ni à celles de ses amies réalisatrices, ni même désormais à un quelconque poste décisionnaire.
Par un regard transversal et amusé, elle semble même dire : "Dégage mec, t'as fait ton temps".

Plaisir de retrouver l'envoûtante Garance Marillier, de son précédent film Grave. Bouleversante Agathe Rousselle et toujours parfait dans son intériorité comme dans sa masse physique aussi rassurante que finalement très érotique aux yeux de la réalisatrice, Vincent Lindon.
Mais pas revancharde pour un sou et au contraire-même, plutôt rieuse, la réalisatrice va jusqu’à piquer le langage d'un homme, Quentin Tarantino, lors d'une amusante scène en forme de quasi clin d'œil.
Son cinéma n'est pas organique comme le dirait ou le ferait un certain, il pose la question du corps et de l'organisme dans un monde de domination et de torture.

Alors, que le cinéma meure ! (pourvu qu'il renaisse dans celui des femmes).



lundi 22 novembre 2021

PERDU EN LUI-MÊME ET EN CE MONDE, sur Alain Guiraudie

      Le cul est révélateur et UN révélateur, même si pour un dépressif chronique comme Lars von trier, par exemple, son utilisation excessive (ou obsessionnelle/ Nymphomaniac), elle, renvoit à une impasse (Forcément, petit filet d'eau qui ruisselle là ou il peut et comme il le peut entre ces deux monolithes que sont la vie et la mort, que reste t'il du désir ?)

Le sexe est révélateur de qui l'on est. Finitude, horizon, complément, source de découverte, vie à reconstruire (lorsque siège de destruction), boussole et centre de gravité qui nous permet d’être et de grandir.

Chez Guiraudie, il se vit dans une normalité quotidienne paradoxalement moins cachée et d’autant plus libre que la traditionnelle familiale plus ou moins vouée à la reproduction.
Toujours accompagnée d'une attention extrême à l’autre, ses personnages vivent si naturellement leur sexualité qu’elle en est jubilatoire et libératrice.

Le désir est aiguillon de vie et ferment de toute créativité.

La volonté de jouir, de vivre joyeusement et librement autour et avec ça, et de le vouloir pour les autres, résonne mal dans une société marchande, idéologie qui rend tout vulgaire, attractif, performant, clinquant, violent, idiot, immédiat, sectorisé.

Guiraudie met en scène avec amour le sexe homosexuel mais évoque avant tout la manière chaleureusement libre dont il entrevoit la vie pour tout un chacun. Là ou dans ses films, un programmateur chercherait un prisme pleurnichard, une morale, une excuse filiale à famille réunie à la fin (Spielberg), Guiraudie, lui, convoque la liberté. De celle qui passe par le corps mais également par le corps social, exprimant alors ces autres sujets importants à ces yeux : le réel, le quotidien, le monde du travail, la vie sociale, l’autre vers qui, d’une façon ou pour une autre, on tend.

Le réalisateur n’a finalement d’intérêt que pour cette humanité faite d’ouvriers, de petits patrons, de chômeurs, de retraités, de paysans, de jeunes qui s’en branlent et de vieux qui s’adonneraient bien aux mêmes aimables penchants. De ceux dont les désirs sont souvent contraints par des forces qui les accablent. Son humanité nait de l’affection qu’il leur voue.

Dans Ce vieux rêve qui bouge (Moyen-Court (2001), il plonge dans un monde du travail arrivé à son terme. Usine, décrépitude, fin d’une époque, ouvriers relégués errant dans des coursives désertées, couleur cuivrée d’un soleil couchant qui glisse sur l'acier à l’abandon, au milieu d'une stupeur qui fige et ponctue la vie de tâches quasi-inutiles donc supérieurement urgentes. Pour sembler occupé, s’occuper, pour ne plus penser. Tâches qui surlignent douloureusement la fin, mais pas pour tout le monde, puisque la déconstruction des machines, afin de les expédier en pièces détachées ailleurs, échoit au personnage principal du récit, lui-même travailleur détaché ; des autres, du destin de l’usine, de tout. Individualité surnageant au milieu de cette lourde mélancolie commune, qui, dans un arrachement sensible en silence absolu qui se pose sur les lieux, les éloigne déjà les uns des autres. 

De ces vies au ralenti entrecoupées d’apéros, de gestes d’une camaraderie qui cherche à retenir un temps désormais compté en heures. Derniers échanges qui n’esquiveront pas la désillusion de l'après pour ces d’ouvriers abandonnés (qui pourraient s’abandonner autrement ?) avec leurs machines, aux vies entièrement dévolues à celles-ci, victimes d’une trahison d’autant plus douloureuse qu'elle touche l'intime et le commun.

Restent ces petites tâches à effectuer comme des petites touches de peinture sur un tableau.

Le cadre se rétrécit alors, symbolisant les possibilités du lieu et ses promesses évanouies.

« Je ne vais pas balancer ça aussi sec » avait dit Gainsbourg. Pudeur, et des sentiments, corps, âmes et êtres, qui savent qu’il n’y a plus de réponse à leur situation, sauf l'épidermique accusation fielleuse visant toujours "ce plus fainéant qui serait la cause de ». Le répressible et le réprimable, recours des faibles, là ou l’ex-réprouvé, l’ouvrier homosexuel déconstruisant, devient alors l'incarnation d’un nouveau fort, puisqu’enfin libre de ne plus être contraint de trainer là par obligation familiale, filiale, générationnelle ou simplement de devoir rentrer dans le moule, avec la supériorité que lui confère son emploi de fossoyeur de leur machine-outil à eux.

Vive la fin de l’usine alors ?
Et la libération des corps et des esprits ?

Oui, la mélancolie est un soleil couchant qui laissera place à un nouveau jour et ses nouveaux codes disant que s'il n’y a plus grand chose à espérer, il y a néanmoins tout à reconstruire (tant que ça n'est pas à l'identique).


Sorti de l’usine, Guiraudie repart sur ses chemins aimés : La communauté rurale rock’n’roll.

Dans Pas de repos pour les braves, 1er long métrage, il plante son décor dans ce qui fut probablement une partie de son enfance, de sa jeunesse.

Un jeune narre un conte philosophique à un autre dans un PMU, avant de l’insulter, de traiter tout le monde de con et de quitter les lieux.
Intriguant début rebattant les cartes d'une normalité villageoise qui ne le sera finalement jamais, puisqu'après avoir disparu physiquement, on fera de lui le suspect principal du massacre des habitants d'un lieu-dit à quelques km de là.
A partir de là, l'espèce de fable philosophique verse dans une farce grand guignolesque virant polar. Comme dans la mise en scène de sa sexualité (et des interrogations qui vont avec), Alain Guiraudie ose tout, et c'est tout aussi fascinant à regarder que jubilatoire à vivre.
L'espèce de polar américain ahurissant qu'on dirait filmé par d’hilares copains de 12 ans un soir d'hiver dans une commune perdue de l'Ardèche devient alors fil du récit.

Nul besoin d'avoir quelques pratiques artistiques pour savoir que personne ne ferait un truc pareil. Et pourtant si, Guiraudie le fait, lui. Et ça donne un ovni et quelque chose de jamais vu à ce jour. Chez lui, ce faux amateurisme maladroit est le ferment de sa magie. Et c'est dans son second long métrage Voici venu le temps qu’elle prendra corps.

Le monde paysan, ces camaraderies d’êtres liés entre eux, simplicité bourrue d’une communauté transmise par les anciens. Ils occupent le terrain, ces jeunes, oui, mais qu'en faire ?

Bruno Dumont n’est pas loin, mais tandis que celui-ci grossit le trait pour caricaturer ses personnages, Guiraudie lui, l’affine et le tord dans tous les sens pour en tirer justesse extrême et une étrange réalité ponctuée d’une rafraîchissante absurdité. Le réalisateur est un ado imaginatif et glandeur qui joue, jubile et cherche à jouir tout en faisant jouir.

Boucle temporelle d’un bout de vie à rêver dans un bourg.

Qu’importe l’histoire, finalement il n’y a que le voyage qu’on fait emprunter à soi et aux autres. Guiraudie semble dessiner ici un portrait de lui en jeune tourmenté dont la question ultime serait de fuir ou de rester, mais qui reste planté sur la place de l’église du village à l’aube du désir de créer.

 

Son amour de la campagne se retrouve dans Voici venu le temps (2005), fresque moyenâgeuse picaresque et roman courtois d’une cocasserie hardcore finalement assez moderne, essaimée de nobliaux, bergers, paysans, guerriers et bandits de grand chemin parlant une étrange forme d’Occitan revisité.

S'incarner dans sa terre semble une obsession du réalisateur, qu’on dirait cherchant à tâtons ce qu'il aurait perdu. Ses racines, qu’il injecte là dans une histoire visant à retrouver une jouvencelle enlevée par un brigand.
Le personnage principal, au milieu de sa quête, va ponctuellement se réfugier (essayer de baiser) celui qu’il aime, un vieux retraité marié pour la forme sociale. Et tandis que celui-ci passe son temps à bricoler une machine complètement inutile (fuyant ainsi dans les méandres de l’incohérent pour éviter de devoir trop se regarder en face), le guerrier inassouvi aime à se reposer entre femme et retraité.

Mais en ces temps de paysannerie et de noblesse, la lutte des classes est également là, toujours bien présente. Chez le réalisateur, tout est très normalement ahurissant. Le film se clôt sur une époustouflante scène de grivoiserie campagnarde où ce ne sont plus des nobles qui partouzent au château mais des gueux ripaillant (et qui baisent et dansent) sur la lande.

Guiraudie, indéboulonnable utopiste, s’éclate et mène son propos jusqu’au bout.

Dans ses premiers films, le réalisateur semble passer d’une certaine pudeur à un dévoilement progressif. Sexualité homo placée dans un cadre volontairement délirant, comme pour en souligner, en opposition, l'absolue normalité. Oripeaux dont il finira par se défaire complètement dans L’inconnu du lac.

Dans le Roi de l’Evasion, l’usine est une petite entreprise et le local ce paysage des alentours d’une petite ville où résident encore ces boîtes familiales qui se battent pour ne pas couler.

Le personnage, gros bonhomme de la quarantaine, placide, bourru, un peu austère, travaille dans une succursale de vente de tracteurs. Commercial, il conseille des agriculteurs. Il lambine au niveau chiffre et assiduité, puisqu’on devine qu’il s’en fout un peu, et notamment lorsqu’il va s’endormir auprès d’endroits de drague gay, là où parfois, son patron le retrouve.

Il ne vend pas grand-chose mais a une clientèle fidèle. Il est respecté parce qu’il est honnête, gentil et simple. Il fait du vélo et on l’invite à des pots tout en lui signifiant qu’il pourrait quand même en foutre un peu plus, mais il reste toujours placide continuant sa petite vie où il se fait bien chier (comme apparemment tout le monde dans cette petite ville).

Mais la morne plaine n’est pas seulement ce vide de paysages de zone industrielle entrecoupé de baises rapides (et de causeries) dans les bois autour d’endroits de drague, c’est également de savoir que la morne plaine s’est propagée à soi, y creusant un sillon de sinistrose comme c’est pas possible que seul l’apéro entre copains éloignera un peu.

Ses désirs de liberté vont alors coïncider avec ceux de la jeune Hafsia Herzi (qui étouffe, soit avec des copains qui en sont à vouloir la violer, soit avec des parents obtus, dont il connaît le père chez qui il va boire des canons). La jeunette est encore très aveugle sur ses sentiments, ses désirs, sa sexualité. Il lui offre alors la liberté l'extirpant de l'emprise familiale afin de fuir avec elle. Une véritable rencontre et l’histoire d’amour de deux inadaptés qui s’adapteront profondément l’un à l’autre. Et son désir à elle, éveillant le sien, viendra en partie du fait que ce preux chevalier Armand (aimant ?) l’a sauvé du mal (parents, pseudos-copains, vie de merde).

Comme si le réalisateur, à sa manière, revisitait la fable tragique.

Territoires de découvertes en friche, aux désirs parfois contradictoires qui n'obéissent à nulle règle, la vie, en nous, se charge d’affiner les choses et de se trouver, mais cette jeunette désordonnée, et lui, forment alors le plus beau couple d’errance qui soit, celui qui ne durera jamais.

Revient alors la réalité simple de la vie, entre les bras d’hommes mariés de la communauté, cafetier, retraité, père de la jeune fille, commissaire, soulignant l’hypocrisie totale des hommes. Comme toujours chez Guiraudie, la farce rejoint la fable.

 Chaque film du réalisateur mériterait bien évidemment un éclaircissement et un approfondissement que mon passage de l’un à l’autre ne permet probablement pas.
Quelques petites touches, de peinture, quels cols à monter, alors, des balades, errances et autres rencontres à faire, toujours.

 Dans RABALAÏRE, son dernier livre, son écriture est un fleuve volubile que nulle digue ne pourrait arrêter. Un volcan (d’Auvergne ?) dont la lave-langue s’écoule en permanence. Parce qu’il est question de permanence, avec le bonhomme. Et du flot continu d’une langue quasi-uniquement orale. Son texte n’est pas écrit, il est parlé, et jaillit de partout, à l’unisson des pensées du personnage principal. Nulle question de littérature ici, parce que Guiraudie est un paysan arraché à sa terre et qui y revient coute que coute par monts et par vaux, la plupart du temps en vélo.

A l’écouter penser, on pourrait dire qu’il est dingue, ou plutôt, à l’inverse, qu’il raisonne en continu et ça donne un flux ahurissant. Un perpétuel questionnement à propos de tout et à tout instant, fil incertain mais passionné de doutes et d’interrogations : je vais là, j’y repars, j’y retourne, j’y reviens, je prends de la distance, je vais plus loin, je change tout à coup de direction, harponné par l’instinct, le besoin, la nécessité (d’avoir des réponses), instrument animal, homme faible ballotté par ses désirs et fort guidé par sa liberté ; soumis, la plupart du temps, à des forces mues par l’autre, rencontre, curiosité, fascination pour untel, le cul, le désir, la confusion, sous le prétexte de chercher un endroit idéal pour le vélo.
Ecriture qui emporte puisqu’elle est parlée comme dans sa tête, chaos continu d’un Don Quichotte en quête perpétuelle, tour à tour perdu, obsessionnel et pathologique et qui s’interroge sur le bien fondé ou la raison d’aller ici, là, et sur le sens du tout, tout le temps.

Et ça peut être fatiguant, à force, de pédaler toutes les directions à la fois. Mais dans son imagination en perpétuelle ébullition, Guiraudie brasse formidablement le monde.

La révolution, et de l'homme sur l'homme, viendra de la langue de sa terre.

(Mais 70 pages lues sur 800, c'est forcément un peu court pour embrasser tout un volcan😉).

jeudi 14 octobre 2021

A l’épreuve de l’inhumanité. Sur AMERICAN INSURRECTION (titre un peu merdique pour un film plus grand qu’il n’y parait)

Envoutante mise en scène que celle de ce Huit-clos tragique d’une mise sous code-barre des dites « minorités » (non-blanc, non-hétéro, non-catholique) en une Amérique abandonnée aux (pouvoirs locaux de) milices d’extrême-droite.

En résonance avec l’époque et probablement, aussi, pour le réalisateur, avec le fait d’avoir vu un jour ce genre de milices envahir le Capitol.

Postulat : Deux couples d’amis sont cachés dans la ferme isolée d’un milicien (attaché dans sa propre grange) dont un des privilèges (parmi ceux des dits “Volontaires”) est de ne pas avoir à subir de survol de drone à reconnaissance code-barre (tatouage vous désignant homo, étranger, etc) dans le périmètre de son habitation proche de la frontière Canadienne.

Idée : Fuir les USA pour aller justement se réfugier au Canada.

Moyens : Un pick-up planqué sous une bâche dans la forêt, une radio amateur pour suivre les messages de ces “Volontaires” chassant l'humain marqué dans les parages et surtout capter celui du passeur qui leur fera traverser la frontière, et enfin une organisation et une rigueur voulue sans failles pour rester loin des radars donc en vie.

Mais le sauvetage du massacre d’un jeune homosexuel par une des protagonistes va changer la donne et faire d’eux des proies pouvant potentiellement basculer à leur tour (dans la panique, la folie, la violence).
L’épaisseur tragique de ces rôles où certains s'agrippent à leur reste d’humanité tandis que d’autres, pour protéger parfois un simple secret intérieur, succombent à leur tour à la violence, est remarquable.

Passer, sans tomber dans le pathétique, la caricature ou le ridicule, du drame intime vécu par certains (l’homosexualité du type marié à la femme musulmane, celle-là même qui nourrit jour après jour le suprémaciste tout en cherchant à le comprendre) à la tragédie extérieure liée à celle du pays est, et c’est assez rare pour être souligné, très réussi, et aussi finement joué que terriblement ciselé. En vrai travail d’orfèvre questionnant notre humanité comme les raisons qui nous conduisent à une inhumanité destructrice.

D’imbrications humaines en parcours légitimant ou non la vie dans laquelle on se retrouve engoncé, jusqu’aux désirs étouffés qui détermineraient alors notre propre aveuglement volontaire, tout est passé au prisme et au grill dans ce film. L’état permanent de terreur intérieure et de violence extérieure semblant alors justifier un test grandeur nature où nous éprouverions alors la qualité et profondeur de ce mince fil sur lequel est fondée, avec la raison, notre humanité.
Envers l’autre et vis-à-vis de l’autre.

William Sullivan a mis tout ça dans son film, et la multiplicité des propos tiennent en équilibre par miracle ou plutôt, me semble t’il, grâce à l’épaisseur, la complexité et la fascinante richesse intérieure des personnages.
La tragédie (grecque ?) qui se noue également au cœur de chaque être, a, je pense, rarement aussi bien été (dé)montrée.

Mais est-il encore temps de raisonner, ou y a t’il encore un espoir pour cette raison, dans un monde dévoré par la haine ?

Oui, plus que jamais, sinon plus rien n’a de sens, semble alors dire, en quasi-missionnaire mystique (angélisme ? scénario plausible ?) le personnage de la femme musulmane joué par Nadine Malouf. Même si son traumatisme à elle (en plus de ceux dus à son identité et à sa religion) vient de l’attaque terroriste d’une de ces milices sur une mosquée tuant la quasi-totalité de sa famille.

L’affiche tape à l'œil semblerait presque ramener à un American Nightmare (la série) voyeuriste et passablement débile (que ce film n’est pas, bien au contraire).
Non, ici se joue la dramaturgie d’un pays rongé par ses démons tel le songe funeste d’un futur qui pourrait très bien nous arriver un jour.
Fable et tragédie moderne qui vaut plus que le coup d'œil, American Insurrection est une Œuvre marquante et marquée, et pour ma part, un de ces Best film ever vu depuis un bout.
(à ne pas confondre avec le documentaire du même nom sorti quelques années auparavant)

On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
Par sûr qu’il sorte dans les parages, mais si oui, courez le voir, avant de devenir vous-même une proie. 🙂