jeudi 20 juin 2019

COUSUES PAR LE FIL NOIR D'UNE 13EME NOTE


     Lorsque ma douce m’a dit : « Ladyland, le recueil de nouvelles (féminines) de 13eme note, est vendu 500 euros sur Amazon », je ne me suis même pas senti étonné. On s’accoutumait. Même si au fond, comme au fond du dernier verre de la taverne de la dernière chance, l’on pouvait encore se faire des illusions, la réalité trouvait toujours le moyen de vous rétamer la gueule.
Inutile de préciser que c’était un système automatique d’enchères qui vous pilotait le bazar, j’aurais pas écouté. Puisque pour moi, il était acté que c’était bien l’homme, et non l’amibe, qui déléguait systématiquement à la machine.
500 euros, un bouquin qui en valait 22.
Un fervent lecteur n’aurait pu faire ça. Je l’imaginais à la librairie gardienne du fond (de la boite d’édition liquidée) achetant son lot à un prix très raisonnable avant d’aller le fourguer sur Amazon afin d’en faire un max de bénef.
L’idée alors me vint de :
- dissoudre le clampin dans l’acide chlorhydrique en veillant à ce qu’il soit conscient jusqu’au bout.
- ne pas causer du livre, puisqu’en définitive, tout était foutu.

Sauf que c’était trop facile. Rapport à la maison d’édition et probablement un peu à soi-même, aussi, puisque je venais de lui finir son « Livre des fêlures » (31 histoires cousues de fil noir). Ecrire n’était plus seulement volonté de transmission mais devenait nécessité de réparation, ou de perpétuation.
Etrange de faire la recension d’un recueil d’une maison d’édition liquidée ? Ça vous alimente pas trop le marché du livre, ça, ma bonne dame. Ça correspondait néanmoins à ma conception de la création. Don et gratuité, à perpétuité. Elle ne sert (dans le sens agrégat de thune) à rien ? Elle amènera donc à tout.
13ème note avait-elle coulé de trop de passion ? Avait-elle oublié la gestion propre à ce genre d’entreprise casse-gueule ? Et à l’inverse, si elle n’avait eu les plis du front synonymes d’angoisse uniquement dirigés sur la gestion, aurait-elle publié toute cette richesse ?
Non. Puisque non-vendeur, inclassifiable, trop libre et de qualité. Il restait à ne pas transiger et à combattre comme après un serment politique. Avant tout, la littérature était faite pour être, pas pour plaire. Au milieu d’un monde ou être ou ne pas être disparaissait au profit d’un bon gros en être ou ne pas en être, un éditeur pareil, ç’avait été de la salubrité publique.
Pour résumer un billet déjà trop long en soi, je ne vais donc pas vous faire une tartine sur chaque nouvelle. Je causerai uniquement de mes préférences, et elles furent nombreuses.

First :
Dan Fante. Ton péché te retrouvera. L’histoire d’une débine New-Yorkaise. Bien plus que le simple fils de John, Dan Fante fut un danseur magistral et juste qui ne laissait rien trainer. En véritable magicien fixant à merveille situations, personnages et matière de sa vie-même.
Du génie, mais de la classe, surtout.
Dan fante
La quatrième : Pat et Corky, par JR Helton. Un de ces autres auteurs virtuose qui vous enchante par la justesse, la brièveté et la concision de leurs dialogues. De la came, de la came et encore de la came. Le génie d’Helton ne tient pas seulement à la narration, mais à l’histoire de cette amitié sur le fil du malsain entre deux types (et leurs copines) accros à la cocaïne. La cocaïne est le fil rouge et le sens à tout, faisant préfigurer les pires emmerdes au milieu d’une amitié tenant quasi-uniquement à un intérêt commun pour cette même came et son bizness, puis au besoin impérieux de se tirer du merdier donc de faire profil bas. Pour pas que ça dégénère. Parce que ça sent le meurtre à plein nez, malgré ce nez très occupé ailleurs. Une petite merveille, à déguster.

La 6eme nouvelle de ce recueil, Déchirure de Daniel Jones. Dans la vie réelle, un jour de la St-Valentin, à 34 ans, Daniel Jones en eut ras le pompon et se suicidait. Dans le récit, une très touchante histoire d’amour sous déglingue, ou l’on ressent ce douloureux manque de sens à la vie, comme si c’était la sienne qu’il évoquait à couvert entre les lignes. Comme sous une pluie triste qui durerait des jours sans discontinuer, l’amour d’un alcoolique invétéré perdant tous ses boulots pour une handicapée arrivant comme par miracle à les conserver. Beau, et désespérément beau.
De la beauté dans chaque nouvelle, et puis certaines, BOUM, vous foudroient. Littéralement. Par leur inventivité, leur style. La neuvième de cet opus très épique : Les années 90 de Philippe Aronson. Bilingue et très iconoclaste. Ce qui n’a rien à voir, mais on s’en fout. Une claque de virtuosité. De légèreté, enrobé d’un talent pur. Stylistique, listant sa vie et ce qui s’y passe comme des courses à faire. Percutant, unique, dingue, drôle. Et dire que Philippe Aronson est …traducteur.

Richard Burgin
Puis la onzième : TOM GRIMES. Les variations Prozac. Même si parfois difficile voire rebutante par sa nature-même. Disons-le tout net, l’auto-analyse d’un écrivain déjà très analytique sous prozac, ça peut rebuter. Mais fascinant, et juste et cocasse, et surtout d’une honnêteté sans paravent. Sa propre évolution sous médication. Richissime sur les processus gouvernant l’acte d’écrire. Et une fin géniale sur les drogues.

La douzième (oui, dans ce recueil, le talent dégouline de chaque histoire), Jean Paul Carillo. Mauvais exemple. Nouvelle simple, directe, tour à tour un peu triste mais amusante et finalement très touchante. Un ado sensé s’occupé de sa tante alcoolique finit par le devenir à son tour. Très jolie écriture.

Juste après, ce bijou de treizième (quand je vous disais…) : Richard Burgin, la nuit océane. Le récit d’un type qui sait qu’il va se faire virer de son boulot de cadre très supérieur. Comme s’il ne cherchait plus que l’essentiel de la vie et le particulier de celle-ci dans ses détails-mêmes, auxquels il aurait tout à coup l’irrépressible besoin de s’attacher. Et qu’il va sembler trouver dans l’incarnation d’un surfer blond très cliché (mais qui en vérité ne l’est pas), grande bringue qui lui fera office de copain dans cette sorte de station balnéaire des Caraïbes éloignée de tout.
Très belle nouvelle, merveilleusement écrite, poétique et touchante, jusqu’à la fin.

Et puisque je touchais les anges, le miracle a alors fini par me tomber dessus. Même si la nouvelle pataugeait dans l’ordure, et peut-être justement du fait qu’elle pataugeait dans l’ordure. C’était comme si son style et sa lumière en étaient plus lumineux encore. La quatorzième, intitulée Rénovations Urbaines, par Eric Miles Williamson.
Eric Miles Williamson
Une de celles qui m’a le plus remué parce que l’auteur a le génie de l’évocation et de la description de son univers. Ici tout est drame, et en particulier le quotidien des personnages, tellement réels qu’on sait bien qu’ils sont vrais. Lui-même, Eric Miles Williamson, s’il refile des cours à d’autres pauvres que lui, fait partie de ces pauvres hurlant contre les riches, et notoirement, les écrivains riches installés dans les meilleures facs pour blancs friqués (ex : Toni Morrison). Une pure merveille noire, de déliquescence, de débine, de débrouille, de combines. Tragique, vu l’environnement, mais en même temps irrésistiblement comique dans l’acceptation quotidienne par tous ces pauvres, justement, de leur lot d’emmerdement. Ce besoin qui fait qu’on arrive malgré tout, à peu près toujours, à surnager et qui tient à son écriture même. Comme aurait pu dire David Goodis : la lune brille bien mieux dans le plus cradingue des caniveaux. Et c’est le cas. Une beauté, donc. Et un grand écrivain, aussi.

La dix-septième nouvelle :  Glenn Blake. Tir de riposte.
S’il n’y avait eu ce postulat de l’Américain qui se prévaut d’être en droit de dessouder tout ce qui bouge because ça dérange façon d’être et champ de vision, j’aurais pu adorer cette nouvelle. Mais bémol. L’idéologie John Wayne, c’est pas trop pour moi. Malgré tout, très belle narration d’une petite vengeance perso concoctée d’une façon magistrale par un texan trimballant cette même morale qu’on est en droit, nouzôtres, de trouver quelque peu douteuse. Très réussi et assez jubilatoire, toutefois.

Puis, la dix-neuvième. Aussi courte qu’intense et merveilleuse, par Larry Fondation (qu’émerveillé je découvre donc). La dernière escale. Une escroquerie si finement menée que j’en fus littéralement estomaqué. Ecriture redoutable, précise, simple, malicieuse. Petit génie.

Vingt-deuxième, Mark Safranko Le rôle de sa vie. Eddie et son pote, deux copains, l’un plus friqué qui soutient son pote artiste en proie à un empilement de désillusions aussi personnelles que professionnelles. Très belle histoire d’une amitié bancale mais touchante et de rencontres qu’il faudrait parfois savoir éviter. Cruelle et limpide. Jolie plume.

Patrick Dewitt
Peut-être une des plus délirante, bouleversante et cocasse. Parce que la plus dingue. La 23eme. « L’Icône immaculée ». De Patrick DEWITT, qui lui-même semble dingue (Brothers Sisters fut un de ses livres, mis en scène au cinéma par Jacques Audiard). Un braqueur qui ne braque pas mais prend un malin plaisir à détruire tout ce qui ne lui plait pas chez les gens chez qui il intervient. Comme d’un caprice, suivant son monologue intérieur délirant dont il nous fait part, suivant l’idée qu’il se fait de ces personnes qu’il imagine se mouvoir dans leur quotidien tandis qu’il dézingue ce qu’il leur imagine de plus précieux. Par une sorte de vice bizarre, de fabrication, peut-être. A forcément mal finir. Magnifique.

 JC EMBERCHELE, Liberté. Effrayant récit de prison (30 ans, entre Usa et Mexique) traduit par Aronson. Pas spécifiquement pour ses qualités littéraires mais pour le témoignage fort, et d’être resté vivant après tout ça.

Dans le genre voyageur-clown sans limite, Jean louis Costes. Le roi du shit. Un bon délirium d’un dealer très néophyte qui se retrouve largué au Maroc, aventure qui finira invariablement en eau de boudin. Tout fou, comme Costes, généreux et très amusant, dans sa totale liberté.

Puis Alter Karer. Car Satan est menteur et le père du mensonge. Délire complet et jubilatoire d’un instit pris par ses visions mystiques qu’il bave sans discontinuer à ses élèves. Pas dénué d’un profond sens politique et philosophique (humoristique en diable).
Fut embarqué comme jamais.
Et enfin, en parlant d’embarcation, la dernière, genre fuite, mais belle, d'une aventure suivant les courants de l’océan. Les caraïbes. Les mers des Caraïbes. A quatre et d'une côte sud-américaine, rejoindre les USA en voilier dans le but de fourguer sa tonne d’herbe, malgré risques et récifs, ça vous donne des suées comme jamais. Alfredo Molano, Le journal de Sharon. Merveilleusement bien écrit, tellement bien écrit qu’on croirait vécu. Le serait-ce ?
Parfait pour ouvrir la grand-voile du grand air en fin de recueil. Ultime souffle et grand bol d'air. Respiration.
Bien joué, 13eme Note, encore.


Voilà, si vous avez la chance de trouver ce « livre des fêlures » à un prix très raisonnable ailleurs (on peut, m’a dit ma compagne), ne vous en privez pas et conservez-le chaudement (ou refilez-le gaiement, hein, et à un prix normal). 🙂

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