mardi 30 juillet 2019

A LIRE : Cache-Cash Mortel / Hubert Letiers



   Lorsque je l'ai rencontré au Salon du Polar de Concarneau Le Chien Jaune, Hubert Letiers semblait seul. Sur sa fiche, outre les fonds de pension, les fonds d’investissement, des dizaines de voyages autour de la planète, j’imaginais qu’il avait également ça de commun avec les Jivaros que d’avoir coupé des têtes, à vous restructurer de l’entreprise à tour de bras, puisque ç'avait été une des caractéristiques de ses (probablement nombreuses) fonctions.
Pour ma part, je n'avais aucun apriori.
Mon père s'était bien fadé une enfance chez les Jésuites, deux ans en Algérie chez les paras et une vie entière au service de l’industrie pharmaceutique. Considérant que la vie était par nature bizarre et mon propre parcours à moi très particulier, je me voyais donc mal émettre un quelconque jugement.
Hubert et moi ne savions pas vraiment que faire de nos carcasses, à suçoter notre punch à distance de la buvette. Alors nous nous sommes rapprochés. Suivant ce que j’avais lu de lui sur la plaquette de présentation du festival, je me suis lancé :

- Alors la finance ? Pourquoi ? Comment ? Ça fait mal ?


Je n’avais évidemment pas précisé le secteur puisqu'en la matière j’avais des lacunes. De l’extérieur, c’est opaque, probablement pour ça que ça marche, parce que personne n’y comprend rien et que cette opacité permet ainsi aux affaires de continuer à se faire (Dixit Hubert, plus tard).
Fond de pension, d’investissement, Holdings, produits financiers, restructuration d’entreprises, marchés, cotations, j'étais dans la matrice-même où se générait le capitalisme mondial, moi qui n'avait eu jusque-là qu’une vie de victime locale à Pôle emploi.
En le saluant, je me souviens m’être dit : « Il doit en être sorti, vu comme il est souriant ».


Mais c’était bien plus que cela, ce que je lisais de lui ensuite. Chez lui, les données, situations, personnages, formaient une dynamique terrible, avant de devenir de la dynamite bien réelle. Par ce qu’elle recelait. Parce que c’était d’une réalité extrêmement plausible dont il était question-là, celle qu’il vous détaillait d'une si terrifiante et scrupuleuse façon page après page.
La finance internationale semblait en arrière-plan de décisions nationales, si l'on prenait encore cette entité en compte, mais comme si elle lui avait en même temps soufflé à l'oreille tout en la conseillant constamment. Bref, la résultante en était une volonté de corruption totale d’un pays décidé à détourner le regard face au genre de liquidités qu'on souhaitait lui faire couler dans les caisses. Bref, l'argent des cartels. Chinois ou Colombien, ça dépendait du marché servant de plateforme et d’intermédiaire et de la meilleure sécurité qu’offrait celui-ci.



Mafia, triades, Etat, gouvernements, machine judiciaire, presse, pouvoir, instance internationale, organismes de prêts, produits financiers, pays, décisions, perpétuation d’un système tel quel. Avec détail et rouages implacables, Hubert Letiers dévoile une machinerie infernale, que semble piloter la DGSE sous décision ministérielle.
Comment un pays fonctionne ? Par son peuple ? Non mon coco, va pas croire ça. Par ce pognon qui lui ruisselle dans les caisses. Sauf qu’à un moment donné, ce qui lui remplit les caisses n’est plus l’humble et digne prélèvement obligatoire mais une manne trouble dont tout le monde évacue la réelle provenance et qui représente des centaines de milliards de dollars.
Un brave pays qui rame ne résiste pas longtemps à un tel potentiel d'investissement.




Dans ce livre, chaque page est un retournement, une mine d’or, une révélation. Un fil tendu au-dessus du vide pour un personnage qui sent tout se resserrer autour de lui.
Une écriture rare, ciselée, pas celle d’un roman policier. Ou bien des meilleurs.
Fine, subtile, travaillée, précise, confondante à en dépeindre des situations si terribles.
Fond de pension, couloirs de l’administration, quai des orfèvres, ors de la République. C’est ce genre de coursives là qu’on finit par remonter dangereusement, chez Hubert Letiers.

Si ce livre est comme un plan détaillé sur ce qui arrive, ce qui est déjà arrivé (?), ou ce qui est en passe d’arriver un jour, c’est avant tout le magnifique récit d’un complot d’Etat d'un pouvoir cherchant à se mettre au mieux avec ce genre d'investisseur mondial qui se promène sur la planète entière à la recherche de bons gros nouveaux clients.

Hubert Letiers sait de quoi il parle. Comme il me l'a dit une fois, "la brigade financière et la garde à vue, je connais". Faudrait toujours écouter les spécialistes, mais pas ceux qui passent à la TiVi.
On a fabriqué notre bombe, coco.
Alors va y voir de plus prêt mais ne te brûle pas. Et bienvenue dans l’enfer de la réalité.








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