J’ai découvert Kate Braverman par son recueil Bleu éperdument dans la plus abrupte des
réalités matinales, celle qui vous tire lamentablement d’un point A (lit) à un
point B (boulot merdique).
Avec cette attention toute particulière due au fait qu’on sait ces minutes bien à soi, je dévorai ses nouvelles plus par nécessité que par désir, d’ailleurs, puisqu'il n'y a aucun désir dans le métro. Sa plume y dépeignait des tranches d’existences de femmes abimées qui, à travers le prisme de ma toute récente lecture de son Lithium pour Médée, ressemblent, j’imagine, à ce que fut un peu sa vie elle-même.
Ces quelques minutes (de fermeture au monde pour m’ouvrir à autre chose) servaient à me blinder à l’avance des collègues, voir venir leurs coups tordus, tenir à distance l’assassinat programmé de la ville, supporter le métro rempli avec sa musique débilitante fabriquée pour, me prémunir du chacun-pour-sa-gueule, de la défiance pour tous, et enfin résister pour ne pas devenir à mon tour ce gros bras fort-en-gueule tacitement encouragé par la fonction et ses milices actives, les corps de métier. Vêtements de chantier à mes pieds, j’avais donc dix minutes pour passer six stations et arriver.
Le soir, abruti au dernier degré, chose froissée dans le canapé, ma langue ne crachait plus que les poussières de béton et ces particules de ville qui vous tuent peu à peu. Le matin, ces pages me réchauffaient en prévision d'une journée plus glaciale encore. Je levais juste le nez à chaque station, comptabilisant, un peu angoissé, celles qui me restaient.
Avec cette attention toute particulière due au fait qu’on sait ces minutes bien à soi, je dévorai ses nouvelles plus par nécessité que par désir, d’ailleurs, puisqu'il n'y a aucun désir dans le métro. Sa plume y dépeignait des tranches d’existences de femmes abimées qui, à travers le prisme de ma toute récente lecture de son Lithium pour Médée, ressemblent, j’imagine, à ce que fut un peu sa vie elle-même.
Ces quelques minutes (de fermeture au monde pour m’ouvrir à autre chose) servaient à me blinder à l’avance des collègues, voir venir leurs coups tordus, tenir à distance l’assassinat programmé de la ville, supporter le métro rempli avec sa musique débilitante fabriquée pour, me prémunir du chacun-pour-sa-gueule, de la défiance pour tous, et enfin résister pour ne pas devenir à mon tour ce gros bras fort-en-gueule tacitement encouragé par la fonction et ses milices actives, les corps de métier. Vêtements de chantier à mes pieds, j’avais donc dix minutes pour passer six stations et arriver.
Le soir, abruti au dernier degré, chose froissée dans le canapé, ma langue ne crachait plus que les poussières de béton et ces particules de ville qui vous tuent peu à peu. Le matin, ces pages me réchauffaient en prévision d'une journée plus glaciale encore. Je levais juste le nez à chaque station, comptabilisant, un peu angoissé, celles qui me restaient.
Dans ce métro bondé, chaque jour une nouvelle. Los Angeles, en moult tableaux de douleur et d’absurdité, des instants de grâce, d’envol pur, la cour des miracles d'un désarroi humain croquée par une plume virtuose, légère, fine, virevoltante et riante, subtile, criant l’amour et sa désespérance. Belle jusqu’au bout des tripes, touchante, sensuelle. Une vie accolée à d'autres bouts de vies, brillante mais corrompue comme un joyau noir. Dans sa quête alimentée par l’insatiable besoin d’aimer et d’être aimée, Kate Braverman possédait la distanciation humoristique des grands.
Après son départ, et pendant longtemps, je ne trouvais plus, justement, en moi,
que brume et mort.
Lisant récemment Lithium pour Médée, j’ai retrouvé cette mort terrible, mais scrupuleuse et compatriote de nous tous. Cette mort en attente, suspendue, si présente. Si présente qu’on s’accommoderait, à laquelle même on serait presque honoré d’être présenté. Cette mort qui caresse le récit, qui se fond en lui parfois, à mesure de l’agonie du père du personnage principal, auprès d’une mère avec laquelle elle retissera malgré tout des liens. Moi-même, je l’avais vu, cette mort, progressivement et soigneusement recouvrir ma mère, s’afficher sur son visage et glisser et lisser sa peau décharnée, cette peau de petite et frêle femme de lumière qu’elle avait toujours été. Comme si elle était venue la préparer à l’avance. Et je la retrouvais, terriblement vivante, dans le récit de Kate Braverman. Comme coutumière du fait, installée à sa place. Celle qui vous fait vous repencher sur votre histoire, et dans le roman, vous interroger face à l’agonie d’un père.
Lisant récemment Lithium pour Médée, j’ai retrouvé cette mort terrible, mais scrupuleuse et compatriote de nous tous. Cette mort en attente, suspendue, si présente. Si présente qu’on s’accommoderait, à laquelle même on serait presque honoré d’être présenté. Cette mort qui caresse le récit, qui se fond en lui parfois, à mesure de l’agonie du père du personnage principal, auprès d’une mère avec laquelle elle retissera malgré tout des liens. Moi-même, je l’avais vu, cette mort, progressivement et soigneusement recouvrir ma mère, s’afficher sur son visage et glisser et lisser sa peau décharnée, cette peau de petite et frêle femme de lumière qu’elle avait toujours été. Comme si elle était venue la préparer à l’avance. Et je la retrouvais, terriblement vivante, dans le récit de Kate Braverman. Comme coutumière du fait, installée à sa place. Celle qui vous fait vous repencher sur votre histoire, et dans le roman, vous interroger face à l’agonie d’un père.
Son passé. Gerald, étudiant impuissant illuminé, constamment fourré devant Star Trek, croyant avoir trouvé le sens et la symbolique du monde dans son simplisme débile de surdiplômé, dans son refus de voir et de vivre la personne à fêlures à ses côtés.
Père Hopital Came
Dans cette infernale partie/patrie de l’Ouest, écrasée au bord des cieux et de la mer, j’ai longtemps pensé qu’il n’existait qu’un John Fante, aveugle, qu’un Henry Miller lui-même à l’agonie (1979/ époque de la première parution de Bleu éperdument) où qu’un postier alcoolique nommé Bukowski. Et bien non. Y naissait une magicienne, Kate Braverman, qui créait un continuum de chant d’amour à la vie.
Prends ta vie en main. Lui dit sa mère, dans une des scènes finales dantesques ou celle-ci, prise de rage, détruit tout. Parfois, l’on a plus de mots pour dire son amour quand celui-ci a été assassiné trop tôt. Ne reste qu’à se voir dans le miroir et comprendre qu’on est pareil.
Sa mère :
- T’as foutu quoi de ta vie ?
- Rien.
- Alors, t’attends quoi ?
Jason Came
Ce livre est un grand livre. Le mariage entre le roman d’une reconstitution filiale terrible et une fresque poétique pure soufflée par une magicienne. Comme un livre de l’accomplissement de soi, merveilleusement accouché.
Kate Braverman a laissé là une œuvre qu’éditeurs et autres traducteurs feraient bien de s’approprier avant qu’elle ne disparaisse tout à fait. Avec elle, puisque récemment et à son tour, emportée par la mort, il se pourrait bien qu’elle chevauche désormais les collines, à l’est, où les nuages, à l’Ouest.
Ceux du soleil couchant sur la lagune, lagune mélancolique qu’elle n’aura finalement jamais su quitter.

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