jeudi 16 juillet 2020

Graines d'arty-show


Rien foutre, rêver, rester peinard arrosé d’allocs, à nouveau rien foutre.
Outre celle de bouffer ou de faire du blé, y a t’il nécessité à s’agiter ? A suivre, l’été venu, cette dense foule côtière jusqu’à Super U ?
Tu peux. Follow France 2.
Prends ta serviette et accepte l’unique respiration octroyée par l’Etat et la communauté humaine afin de renouveler une rentrée d’esclave. Puisque l’esclavage est norme et règle jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Il y eut un confinement-paradis, où les possibles se bousculaient : Dessiner, peindre, rester alangui, respirer, entendre, vivre, et hors marché, songer gratuité.

Lorsque tu gribouilles,
et quand tu seras revenu,
paquet de nouilles,
de ta requête PQ.

Il y eut des journaux de confinement transparents, répandant lisier d’égos et noyautant le silence. Puis des joies, ternies par les défaites d’un secteur. Des morts irréelles, défilant en statistiques sur les écrans. Fiable est la technique qui donne une ré-solution finale. Puis encore ces joies, rencontres avec soi et la vie. Ces parcs à oiseaux et ces biches rendues à la nature.
Mais faut pas désespérer le chaland et Billancourt tout à la fois.
Faudrait pas que l’idiot se rappelle. Qu’il y eut un possible. Ne pas le laisser se souvenir des instants ouatés et au chaud ou l’on se prend à rêver, entre patrouilles de flics. Ne pas le laisser se rendre compte qu’il y eut, quelques semaines, une porte ouverte et qu’il pouvait, pour une fois, en faire autre chose qu’obéir à la voix de son maitre, au lobby publicitaire, au destroyer économique, à ses soutiers par millions. Puisqu’il était question de temps, de vie, d’espace, de respiration et que de ça, ils n’auraient jamais nulle autre idée que celle d’une extorsion en bande organisée.
                                                                       
                                          Il y eut des rêveurs, à hauteur de la et de leur nature.
Des rêveurs fous figés silencieux planqués dans les buissons à regarder la disparition de l’humanité, et ses bienfaits immédiats sur la vie.

L’homme est reparti sur la route de sa maladie pour un chèque. Carburer au prix du carburant. Rangé comme une bagnole de parking, gérant son lui-même, usant sa vie à faire semblant d’apprécier ses instants de plaisir maigre qui enrichissent Instagram et font jubiler l’industrie touristique toute entière.
Mais sous la trace des pneus, sur le sol, se sont incrustés le temps et le rapport heureux de ces êtres-rêveurs tassés dans les interstices d’un monde fabriqué par le silence, et qu’habitent, avec grâce et radicalité, les auteurs de la revue Le monde est en ruines.

Pacôme Thiellement nous le dit, en ouverture, qu’« un jour, il nous restait plus rien », « qu’on nous avait tout pris ». En guise de destin, de Griveau s’astiquant la teub à Jésus sur la croix, qu'on n’avait vraisembleblement plus trop le choix. T’entends ça, Cow-boy, ouïes-tu, Bad-girl ?
Là que déboulèrent alors les possibles.
Jean Louis Costes, dans une juteuse et jubilatoire nouvelle illustrée par ses soins, part en ville pour rafler sa ration de dope malgré la flicaille à autorisation. Péripéties, rebondissements et foutre sur fond d’HLM. Les touristes apprécieront : Une vraie Costes sauvage.
                                                                     
Tristan Edern Vaquette régit militairement son camp puisque l’humain est con et qu’il se doit d’être confiné à l’insu de son plein gré. Puisque l’insu de son plein gré est encore plus con que lui et foutrait bien l’humanité entière dans la panade. Au gnouf, tu sortiras dans quelques années. Discute pas. Y a pandémie. Ensuite on verra bien, si t’es bien gentil.

Romain Ternaux, lui, reconstitue le mythe du quidam seul sur une ile déserte. Sauf qu’il est question d’un boulot, et que celui-ci consiste à s’occuper de la villa d’une milliardaire tandis qu’une pandémie ravage le monde. Accroche toi bien les noix, coco.

De son côté, Quentin Rouchet, instigateur de la revue, lui, dessine comme un enfant lunaire, dans son coin. Accompagné de Raphael Zacharie de Izarra, ils sont traversés de visions fugitives qui s’envolent comme les bulles de rêves créées pour un temps qui laisserait enfin le temps. Mais toujours et encore canapé, télé, mort, et puis ces masques, pour ne pas dire cette mascarade.

Une prose poétique intérieure fulgurante trace le long monologue du quatorzième mouvement du journal fictif d’un individu imaginaire nommé Guyla Noesis.

Puis s’en suit le trash dessiné de Bleiz, feu d’artifice de BD cul Cochon Bite. L’implacable vengeance gronde, c’est beau comme un songe porno-hardcore sur fond de snuffmovie.
Pendant ce temps-là, Raphael Zacharie de Izarra, dans une nouvelle, parle de sa vie d’Homme télé ravi de son existence confinée à rien foutre dans son lit, vie d’inadapté visiblement bien plus heureuse que la totalité des nôtres réunies. Sauf que sa télé va lâcher au premier jour du confinement et qu’il ne sera plus ravitaillé. Il s’adaptera sans jamais vraiment s’adapter. Parce qu’on ne s’adapte pas à la souffrance, même si c’est le lot quotidien de milliards d’êtres humains.

Jonathan Sturel écrit tout en délicatesse et en joliesse, une histoire d’amour naissante et saisissante, que la séparation tuera dans l’œuf.
Tandis que Benjamin Berton, lui, expérimente un récit nouvelle formule, accumulant une incroyable masse d’informations sous forme d’extraits de journaux, revues scientifiques, échanges de mails, recettes de bestioles dangereuses, fanzines, revues médicales, people, chroniques de pandémie, publications de labos par presse économique spécialisée.
                                                                           
Forme et fond donnent alors une troublante distance en même temps qu’une sidérante perspective sur ce qu’on a vécu, là où la presse ne fait plus qu’un boulot d’actu immédiate plus ou moins orientée selon le braillard du plateau. Son patchwork à l’apparence décousue raconte les guerres du futur, celle que les labos se feront sur le dos des peuples, chiffrées par milliards de milliards de dollars, prix d’un vaccin à refourguer à une planète devenue tout à coup extrêmement bankable. Une époque terrifiante qui, au-delà du virus lui-même, échappe à l’homme et dit sa maladie. Vertigineux.

La ville silencieuse de Quentin Rouchet est son carnet de bord de confinement. Un rêve éveillé, un voyage à l’intérieur de lui-même, soumis à l’étirement extrême du temps alors que se martèle périodiquement les morts par milliers, charrettes sur d’autres sortes de chemins. Ses rêveries somnambuliques répondent aux temps assassins, heureux arpenteur de l’espace, du temps, de la vie.
S’embarquer alors avec Floska, dans une doucereuse puis douloureuse histoire d’amour. Usine, aliénation, rivière proche symbole d’évasion mais également de mort puisqu’au-dessus d’elle plane un nuage sinistre, probablement toxique, fabriqué par l’usine pour laquelle il s’esquinte à vivre. N’empêche, ce nuage est également un rêve d’évasion à l’état pur, entrevoir un au-delà possible, souhaitable pour vivre enfin leur amour.

Les mots de Francisco Diaz se cherchent et cherchent encore. Confinement ? Ecrire ? Quel sens ça a, et pour dire quoi ? L’honnêteté qui en sourd est celle qu’on est nombreux à avoir eu en se posant à un moment donné la question.
Si, pour une fois, toutes ces voix avaient pu se taire. Juste pour entendre le silence et ce qu’il nous apporte.
Dans sa nouvelle « Le placenta de sable », c’est le monologue d’une description de son ressenti du monde, d’une qualité et d’une profondeur rare, comme l’on écouterait le ruisseau inspirant, aux chatoiements de pensées qui s’écoulent en suivant naturellement leur chemin, nimbant de lumière ce qu’on a parfois pu vivre.

Mais ce pays, en fait, il fout quoi ?
Où avant tout, il est fait de quoi ?
Qu’est-ce qu’il génère, formate, détruit ? En l’Humain ? Et pourquoi donc, d’ailleurs ?
Cyril Pflumio enfonce le clou dans un implacable réquisitoire sur la France, qui n’est que structure et technostructure avec dressage de poulet au milieu.
Salutaire critique d’un pays qui n’en a jamais véritablement été un. Pays de la norme, de l’autorisation et du conformisme aux racines enfouies diffusant politesse, excessive passion pour l’orthographe et monde de la mode comme philosophie globale.
Et après, on s’étonne.
Texte sidérant, salutaire, argumenté, nécessaire.

Penses-tu, une revue,
avec un artichaud dessus.
Un truc qui ressemble à rien ?
Non, une entité qui rassemble tout.

Précipitez vous, et puis 250 pages pour 10 balles, c’est donné.

Autres illustrations de Sakaguchi Ayumu et Sébastien Deschamps.




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