vendredi 4 décembre 2020

(Je te fiche mon) Billet de Noël

      Et pendant ce temps-là, des livres sortaient le museau de l’impression pour aller rejoindre les palettes de l’industrie du divertissement. Comme l’eut dit un certain, en d’autres termes et dans l’un de ses posts, ces livres formaient les produits nouveaux du « marché du livre » ensevelissant ainsi les millions de précédents, noyant et noyautant la mémoire universelle pour la remplacer par une nouvelle, plus au fait des tendances du jour, et qui servirait, comme souvent, les intérêts des mêmes. L’effet rouleau-compresseur d’une industrie qui se pare généralement de vertus tout en faisant mine de ne pas voir son impitoyable pouvoir, et sa capacité rapace à faire plier, se soumettre, à signer et parapher la disparition de livres qui ne bénéficieront pas d’un soutien ni d’une visibilité suffisante pour exister. 

C’était la contrepartie d’un modèle productiviste et de surproduction dominante mais surtout dominé par les plus puissants. Lorsque vous aviez un bouquin en main, dès lors qu’il ne venait pas des rangs d’une bibliothèque (même si…mais c’est pour la bonne cause) pratiquant la gratuité pour les pauvres, vous faisiez tourner une industrie, un accro-business, et quelque part, derrière, des labels, marques, groupes, boites de com, entreprise de pubs, des entreprises tout court, et ces quelques sous-boulots sous-payés qui vont avec. Ca s’appelait la fête de noël, le calendrier de l’avent et ma-main-sur-ta-gueule-pour-l’après.
Bref, vous faisiez marcher un système.

Cependant, nous, les gratte-papiers, on les aimait bien, ces livres, puisqu’on les avait fabriqué en l’immaculée conception de notre cerveau, lors d’un transfert de synapses probablement en cherchant à satisfaire un quelconque roi Priape. On aimait les travailler, les ciseler, revenir dessus, en enfiler les perles parfois jaillissantes en un afflux dans ces corps caverneux inconnus à ce jour, et dont, enfin sorti de l’ivresse brumeuse, relisant la matière somnambulique, l’on gouttait alors et la teneur et la texture. Et on les aimait d’autant plus parce qu’on les savait condamnés, d’ores et déjà éventrés, assassinés, liquidés contre un mur ou moisissant dans un entrepôt, ces livres qui étaient nous, bouts de vie, points de vue, constitués de sang et de tripes, soudés par le joint de colle fin et délicat et prêt à rompre qui reliait l’âme à l’esprit, fomentant miracles où meurtres, ça dépendait.
Ils étaient le témoignage de notre résistance à la mort, qui de toute façon, marché oblige, ne tiendrait pas longtemps.

Nier l’existence du vivant, ça finissait par vous en foutre un coup. Mais quand tu bricoles dans ce secteur, s’il faut malheureusement s’y habituer, il ne faut pas s’y résigner. Puisque c’est d’élimination directe (sur fond de concurrence) dont il est question. L’industrie, elle, sera toujours là, et se nourrira de tout, surtout si ça ne mène à rien et que ça fabrique une mise à jour perpétuellement réactualisée du produit du moment avec les réseaux itou.

Alors libraire, avant de fourrer trucmuche à grosse valeur ajoutée et à gros pouvoir d’achat partout dans cette vitrine que la plupart des plus besogneux d’entre nous, avons, pour certains très malignement, pour d’autres, très amicalement soutenu, entretenu, tenu à bout de bras, click-and-collecté, pense au livre qui ne paye pas de mine mais qui te le rendra au centuple derrière la pile du veule clinquant écrit en gros, et dont le fait qu’il soit « bien fait » est le minimum qu’on puisse demander à un tel gros cul vu les moyens engagés pour.
Tu es bien placé pour savoir que le marché mettra toujours au service de ses employés les plus zélés les commodités les plus avantageuses.
Et puis des prix, des décernements sans discernement, il y en aura au kilomètre, comme autant de glorioles, d’invitations, de remplissage, correspondant à des besoins de faire parler. C’est compréhensible, faut nourrir le secteur et renouveler le cheptel, comme pour l’agro-alimentaire, de salons en week-ends promotionnels. D’ailleurs c’est comme ça que toi, libraire, tu seras en capacité de payer tes factures et ton loyer bien plus qu’avec ces œuvres jamais vues chez média-machin, puisque celui-ci s’éveillera uniquement, tel Pavlov, quand tintinnabulera à son oreille la possibilité du chiffre « qui parle ». Etant donné que, curieuse conception mathématique d’un univers dont le langage est pourtant bien la matière principale, il n’y aura désormais plus que les chiffres, en finalité, à être en capacité de parler.

De ce fait, et comme il est alors question d’offre et de demande, ça tiendra donc à toi, lecteur, d’éviter les produits fabriqués, fait d’actions à la louche en péripéties péripatéticiennes accouchant ses sentiments tel des 38 tonnes sur l’autoroute désespérante du chiffre.
Sois curieux, suis ton instinct, pas le commercial de TF1. Va visiter ces planètes miraculeuses, ces petits mondes humbles et parallèles résonnant si profondément avec tes propres sensations recherchées, celles qui t’aideront à faire vivre, revivre, ou ressurgir ce qu’il y a de plus profond et de plus souhaitable, en toi, celles que la société aura cherché à te kidnapper, te piétinant pour te mettre au pas afin de renforcer le marché ; jamais un commercial placé au milieu de tes désirs ne pourra te dire ce qui est bon pour toi puisque tu es le seul à savoir ce vers quoi, intuitivement, tu tends.
Alors aime les livres résolvant tes nœuds, disant tes empreintes et ta maladresse. En profondeur, et qui crient, hurlent, pataugent, conchient, t’embarquent et te soufflent à l’oreille, que tu es toi, et non pas le gogo d’un panel de lectorat, évite ces ouvrages de mort, habités par rien. Fuis les agences de placement, de communication et les prétentions sponsorisées. Pige à l’avance la construction d’escroqueries subventionnées fabriquées pour ne rien dire, ou cette vague, moelleuse et confortable, de soumission à l’ordre basée sur la répétition, le produit d’appel, la captation de tes habitudes, rouage d’un secteur recherchant des recettes afin de perpétuer ses ventes. Ecoute la musicalité de ces sources heureuses qui s’amplifient lorsque tu te penches vers elles, ne te laisse pas happer par ce monde « qui sait » (pour toi) où qu’on t’enjoint constamment à rejoindre, alors que rempli de ta bienheureuse ignorance, tu est content, béat, tu t’épanouis, t’enrichis, tu vis, enfin. Evite les flics et ordonnateurs en tout genre et écoute uniquement ces chants qui te donnent l’envie et la force de démissionner sur le champ. Ces voix qui font en sorte que tu puisses changer, être un autre, ressembler à demain, à rien ; et être toi, peut-être, enfin ?
Puis, avant de te demander : «  C’est quand, le prochain ? », dis toi qu’on s’en fout royalement, du prochain, puisque ceux qui existent déjà devraient largement suffire.

- Quoi ? Toute cette bafouille pour fourguer tes propres bouquins? Salaud, faux-cul, vendu, le peuple aura ta peau !
- Non m’sieur, on ne dit plus peuple, on dit consommateurs conseillés par les spécialistes du genre (secteur).

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