mardi 23 avril 2024

Desperado Rivage Flying Circus

     Évidemment, à lister les potes qu’on chronique, ces dernières, à travers un œil critique pointu, pourraient paraître, la plupart du temps, un peu douteuses. Toutefois, si l’on veut bien comprendre, on passe outre. Parce qu’on parle de ce qu’on rencontre, trouve, de ce qu’on aime. De ce qui, de l'avis du gratte-papier qui dirige sa petite barque, n’a probablement pas l'écho mérité, puisque n’appartenant que trop peu au réseau adéquat, n'étant pas soutenu par les commerciaux du secteur, ni n'ayant les recommandations qui feront que vous serez visible même si vous pondez une évanescence fumeuse au milieu d’un océan de silence (plus communément une crotte au milieu du désert).
Alors on œuvre et on besogne, parce qu'on aime, avant tout, et qu’on ne se résoudra jamais à laisser les marchands merchandiser tout en jouant les passionnés et ce même s'ils savent très bien le faire où qu’il sont parfois sincères, reconnaissons-le.

Pour revenir au canasson du jour, le dernier polar de Claude Bathany commence à sa mesure, tel quel, comme l’on imagine le bonhomme quand on le connaît rien qu’un peu :
- Depuis que la loche et moi, on vit à quai sur un bateau, j’ai l’impression que ça va beaucoup mieux. Le matin, je me réveille, petit roulis bizarre, parfois la loche est contre moi, parfois pas, et ça nous change un peu de l'existence à terre, même si, pour les commodités, on reste dans le dur.

Ainsi, sans trop en faire et un minimum en dire, est planté là le décor d’un bord de mer humainement instable voir vaseux inscrit dans une architecture vieillotte, hétéroclite et déglinguée de station balnéaire rattachée à sa petite ville appartenant à un littoral quelque peu indistinct voire surtout très neutre, comme on en voit parfois. Bars à hôtesse, cinoches hors saison, boutiques squattées à défaut d’être ouvertes, lunapark au seuil de la ruine, troquets, troquets, restos, troquets.

Bref, auprès des grandes bleues, n'allez pas croire les militants de mauvaise augure, il n’y a pas que des résidences secondaires plus ou moins vides, il y a aussi et surtout une faune qui y stagne, bref, des gens, et souvent des sacrés, aux histoires qui se mêlent et les relient, et qui s’y éparpillent, y convolent, y guerroient, s’y répandent, y vivent, tout bonnement. Pas forcément des symboles de réussite, parfois même plus communément les racines d’une loose qui, la plupart du temps, aurait tendance à s'éterniser. Là où l’on s'accroche parce que printemps et touristes reviennent, avec ses terrasses qui vont avec, et aussi parce qu’on y a vécu, qu’on y est né, qu’on y a atterri un jour, les coulisses saisonnières, ces années passées entre bistrots, boîtes de nuits, camping, cirque alternatif, ça finit par vous user l'échine comme pas possible.
Outre le fait de jouer de l’accordéon aux terrasses pour gagner sa vie en honnête saltimbanque, si le personnage principal parle à la première personne, se déplace beaucoup, en cette journée qui le verra passer des sanitaires d’un vieux stade à un collectif artistico-expérimental avec ce regard revenu de tout qui signale qu’il n’a jamais été bien loin non plus, sa vie semble pourtant déjà passablement surchargée lorsqu'il quitte la loche et ce bateau pour aller chercher ces choses qui sont, on le devinera bientôt, les quelques éléments disparates de cette pauvre seule misérable vie qui lui reste alors.

Mais d'où vient qu’il se retrouve là ? Comment ce fesse et pourquoi en ce jour, justement ? Ce jour qui va alors dévider le fil qui va le faire et nous faire remonter l'histoire et son histoire à lui, de déambulations hasardeuses en rencontres impromptues au gré du véhicule qui voudra bien l'emmener là où il le souhaite mais pas toujours.
Une succession de personnages haut en couleur va alors ressortir de la tanière mémorielle de la naphtaline racontant le pourquoi du comment il en serait arrivé là, à patauger dans ce torpide merdier communautaire à proximité ou à distance de la loche, en ce périmètre de quelques kilomètres de carte du tendre ou renaîtront alors tous ces fantômes au milieu des vivants comme mille diablotins annonçant la méga tuile.

Comme si Claude Bathany avait construit son histoire et le nœud de celle-ci par la fin, étirant scrupuleusement les fils, filles, cousins, oncles, de ce vaste tissu de ramifications filiales pour construire enfin la trame de ce roman avec un perfectionnisme dantesque, picaresque, dément.

On ne va pas tortiller du croupignon, ni en dire plus, à risquer de dévoiler quoi que ce soit, encore moins à s’amuser à surenchérir dans les mots, surtout que dans le domaine on a affaire là à un de ces plus grands orfèvres.
L’auteur a bâti là, avec cette dextérité à taper les mots dans une si franche jubilation qui vous fait pisser de rire environ toutes les cinq lignes, des scènes si finement travaillées qu’on en revient pas, de toute cette démoniaque précision horlogère ; puisque c’est à un maelstrom-vortex de personnages finement imbriqués qui vous mèneront droit au désastre (tout aussi jubilatoire) de la révélation, auquel on va assister.
Mais c’est aussi l'amour, rarement entrevu aussi limpidement dans les textes du monsieur, qui ressort de celui-ci, tout en affleurement émotionnel.
Avé César.
Livre de génie, à la mécanique huilée à l'infini, pas tant polar que scrupuleuse et diabolique étude de l'être humain en milieu tempéré dans un climat qui l’est franchement pas trop.
A savoir comment Bathany produit de la magie, ça, reste à l'artiste circassien en lui de nous le dire.

Desperado sur le rivage, Claude Bathany, Editions Métailié
(des précédents)

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