Alors on œuvre et on besogne, parce qu'on aime, avant tout, et qu’on ne se résoudra jamais à laisser les marchands merchandiser tout en jouant les passionnés et ce même s'ils savent très bien le faire où qu’il sont parfois sincères, reconnaissons-le.
Pour revenir au canasson du jour, le
dernier polar de Claude Bathany commence à sa mesure, tel quel, comme l’on imagine le bonhomme quand on le connaît rien qu’un peu :
- Depuis que la loche et moi, on vit à quai sur un bateau,
j’ai l’impression que ça va beaucoup mieux. Le matin, je me réveille, petit
roulis bizarre, parfois la loche est contre moi, parfois pas, et ça nous change
un peu de l'existence à terre, même si, pour les commodités, on reste dans le
dur.
Ainsi, sans trop en faire et un
minimum en dire, est planté là le décor d’un bord de mer humainement instable
voir vaseux inscrit dans une architecture
vieillotte, hétéroclite et déglinguée de
station balnéaire rattachée à sa petite ville appartenant à un littoral quelque peu indistinct voire surtout très
neutre, comme on en voit parfois. Bars à hôtesse,
cinoches hors saison, boutiques squattées à défaut d’être ouvertes, lunapark au
seuil de la ruine, troquets, troquets, restos,
troquets.
Bref, auprès des grandes
bleues, n'allez pas croire les militants de mauvaise
augure, il n’y a pas que des résidences secondaires plus ou moins vides, il y a
aussi et surtout une faune qui y stagne, bref, des gens, et souvent des sacrés,
aux histoires qui se mêlent et les relient, et
qui s’y éparpillent, y convolent, y guerroient, s’y répandent, y vivent,
tout bonnement. Pas forcément des symboles de réussite, parfois même plus
communément les racines d’une loose qui, la plupart
du temps, aurait tendance à s'éterniser. Là
où l’on s'accroche parce que printemps et touristes
reviennent, avec ses terrasses qui vont avec, et aussi parce qu’on y a
vécu, qu’on y est né, qu’on y a atterri un jour, les
coulisses saisonnières, ces années passées entre bistrots, boîtes de nuits,
camping, cirque alternatif, ça finit par vous user l'échine comme pas possible.
Outre le fait de jouer de l’accordéon aux terrasses pour
gagner sa vie en honnête saltimbanque, si le
personnage principal parle à la première personne, se déplace beaucoup, en
cette journée qui le verra passer des sanitaires d’un vieux stade à un
collectif artistico-expérimental avec ce regard revenu de tout qui signale
qu’il n’a jamais été bien loin non plus, sa vie semble pourtant déjà passablement surchargée lorsqu'il
quitte la loche et ce bateau pour aller chercher ces choses qui sont, on le
devinera bientôt, les quelques éléments
disparates de cette pauvre seule misérable vie qui lui reste alors.
Une succession de personnages haut en couleur va alors ressortir de la tanière mémorielle de la naphtaline racontant le pourquoi du comment il en serait arrivé là, à patauger dans ce torpide merdier communautaire à proximité ou à distance de la loche, en ce périmètre de quelques kilomètres de carte du tendre ou renaîtront alors tous ces fantômes au milieu des vivants comme mille diablotins annonçant la méga tuile.
Comme si Claude Bathany avait
construit son histoire et le nœud de celle-ci par
la fin, étirant scrupuleusement les fils, filles, cousins, oncles, de ce vaste
tissu de ramifications filiales pour construire enfin la trame de ce roman avec
un perfectionnisme dantesque, picaresque, dément.
On ne va pas tortiller du
croupignon, ni en dire plus, à risquer
de dévoiler quoi que ce soit, encore moins à s’amuser
à surenchérir dans les mots, surtout que dans le domaine on a affaire là à un
de ces plus grands orfèvres.
L’auteur a bâti là, avec cette
dextérité à taper les mots dans une si franche jubilation qui vous fait pisser
de rire environ toutes les cinq lignes, des scènes si finement travaillées qu’on en revient
pas, de toute cette démoniaque précision horlogère ; puisque c’est à un maelstrom-vortex
de personnages finement imbriqués qui vous mèneront droit au désastre (tout
aussi jubilatoire) de la révélation, auquel on va assister.
Mais c’est aussi l'amour, rarement entrevu aussi limpidement
dans les textes du monsieur, qui ressort de celui-ci, tout en affleurement
émotionnel.
Avé César.
Livre de génie,
à la mécanique huilée à l'infini, pas tant polar que
scrupuleuse et diabolique étude de l'être humain en milieu tempéré dans un
climat qui l’est franchement pas trop.
A savoir comment Bathany produit de la magie, ça, reste à l'artiste
circassien en lui de nous le dire.
Desperado sur le rivage, Claude Bathany, Editions Métailié
(des précédents)
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