jeudi 2 mai 2024

L'enfant rivière, d'Isabelle Amonou


     Il y a des livres qui sont tellement grands qu’ils vous sortent du temps, celui-ci en fait partie. Isabelle étant une copine, la critique est forcément sujette à caution. Sauf que les mots et les histoires ne mentent pas. Puisque d'arrangements, il s'agit là plutôt de dépasser l'entendement. Isabelle Amonou ne boxe pas, elle cajole, façonne, bâtit scrupuleusement, elle affine, creuse et travaille au corps le récit, avant de t'envoyer très loin dans les cordes de son histoire, cette magnifique, immense, tragique histoire.
Flotte tout doucement, comme s'égrenant, le sentiment que par un biais détourné, celui du personnage de Zoé, l’autrice parlerait alors peut-être un peu d’elle-même. Et ce, comme dans tout le livre, dans un style-verbe qui ne laisse rien traîner ni au hasard ; sec, réduit à sa plus simple et si juste expression, et qui n’en est pas moins, probablement même justement de ce fait, prenant, virevoltant, poignant.

De toute part, comme si à son tour il prenait l'eau, le temps lui-même semble s'être accéléré au cœur de cette histoire qui se déroule au Québec dans un futur proche devenu chaotique : Crises, effondrement politique, violents conflits internes, montée des eaux, explosion migratoire, on est passé du Mexique aux Usa aux étasuniens fuyant en masse leur pays pour rejoindre le Canada. L’histoire d’un homme, Thomas, et d’une femme, Zoé, parallèlement à celle d’une famille, séparés six ans plus tôt à la suite de la disparition de leur enfant ; deux histoires qui ne se sont plus croisées depuis, hantées par le ressentiment, le remord, la culpabilité, une colère réciproque que rien n'aura pu apaiser. 

Aparté : J’avais aimé la nouvelle “Reconstruire” d’Isabelle Amonou en ouverture du recueil Rennes no(ir) Futur, où là aussi, mais différemment, une catastrophe climatique dévastait la ville mais finissait par ouvrir sur un pur amour. L’amour qui aurait alors relié Thomas et Zoé dans la tête de l’autrice, préfigurant ce récit ? Son essence, son idée, qui aurait germée à la suite de ses voyages en Amérique du nord, aux confins des civilisations occidentales qui, à une époque pas si éloignée que ça, ne cherchaient qu'une chose : anéantir la culture des autochtones en l’occidentalisant en moult brimades dans des pensionnat religieux sous prétexte d'assimilation ?
Puisque dans cette trame et tranche de vie, et celle de cette famille, en ce milieu, de rivière entre Québec et Ontario, aux confins du ouatarais, Isabelle Amonou ne remonte pas que le fil de l'eau mais celui du temps et de l’histoire du Canada, ainsi que l’histoire tragique des autochtones, récit qui se développe d’une façon époustouflante dans une richesse historique rare.

À partir de là, comme haletant, à bout de souffle, on remonte également le temps d’une passionnante histoire d'amour où les relations du couple vont être tiraillées de toute part : de part leur identité à chacun, leur façon d’appréhender la vie, jusqu’à une autre sorte d’appréhension, justement, celle, lorsqu'il est question, avant le drame de la disparition soudaine de l'enfant, de son éducation.
Réaction du père au récit d'un conte lu par la mère :
- il est trop violent ton récit.
La mère :
- Mais non justement, il faut qu’il apprenne.
Etant chargée de sa garde au moment de sa disparition, tout l'aura alors accusé elle.

Six ans après, Thomas, revenu pour enterrer son père, recroise Zoé. Les souvenirs, le récit de leur vie commune et la douleur de chacun reviennent hanter le présent. 

Son nouveau travail à elle consiste à chasser des enfants isolés migrants pour les faire expulser (“les protéger” s'arrange t elle à se faire croire afin de justifier le genre d'humanité de son action) moyennant monnaie. Sa mère (Camille, nom occidental qui lui a été donné dès son enfance) est une autochtone algonquin alcoolique qui peint pour, sans qu’elle n'en ait pleinement conscience, exorciser son enfance à elle marquée par la violence d’une annihilation de sa culture comme l'a longtemps subie sa communauté traumatisée par les violences, la mise au pas et cette honte qui laissera des traces indélébiles.
Lors d’un épisode de chasse, Zoé va alors croire apercevoir cet enfant perdu six ans auparavant, dont elle, bien plus que lui, évaporé à la suite de ça, n'aura jamais vraiment fait le deuil.

La justesse des échanges des deux parents jusqu'à leurs introspections, à propos de leurs responsabilités ou justement dans leurs perceptions d’une absence de responsabilité au moment de la disparition du petit, est d'une subtilité magistrale. Finalement, ça ne serait pas plus son imprudence habituelle à elle, habituée à flirter et à faire flirter avec le danger le gamin, que la peur soudaine de Thomas voyant l'enfant qui terrifiait souvent ce dernier jusqu'à le déstabiliser (au bord de l'eau, là où ils vivaient), qui auraient pu jouer un rôle dans sa disparition. Mais quoi, alors ? Et qui est vraiment ce gamin à demi-sauvage d'une dizaine d'années ? 

L'incroyable finesse psychologique des personnages pris dans la trame de leurs douleurs est alors étoffé par le mécanisme diabolique de la précision narrative de l'autrice qui embrasse tout le reste : histoire, région, temps, époque, époques qui finissent alors par se superposer enrichissant le récit d’une façon étourdissante.

S’en suivra un tourbillon haletant en forme de recherche de conquête puis d’une reconquête présupposée, là où l'intensité dramatique du roman (l’autrice n'aura jamais autant mérité le terme de romancière) atteint des sommets.
La pluie, la rivière, ces colonies de migrants, ces enfants à l'état sauvage et d’une violence extrême, qui errent, ces guerres intérieures larvées qui ne disent pas leur nom et la reconquête et la reconstruction de l’histoire troublée des peuples comme de celle, faite de bric de broc, mais surtout de violence et de chaos, d’une famille.

Par les femmes, forcément, seules survivantes d’un désastre façonné par les hommes.

mardi 23 avril 2024

Desperado Rivage Flying Circus

     Évidemment, à lister les potes qu’on chronique, ces dernières, à travers un œil critique pointu, pourraient paraître, la plupart du temps, un peu douteuses. Toutefois, si l’on veut bien comprendre, on passe outre. Parce qu’on parle de ce qu’on rencontre, trouve, de ce qu’on aime. De ce qui, de l'avis du gratte-papier qui dirige sa petite barque, n’a probablement pas l'écho mérité, puisque n’appartenant que trop peu au réseau adéquat, n'étant pas soutenu par les commerciaux du secteur, ni n'ayant les recommandations qui feront que vous serez visible même si vous pondez une évanescence fumeuse au milieu d’un océan de silence (plus communément une crotte au milieu du désert).
Alors on œuvre et on besogne, parce qu'on aime, avant tout, et qu’on ne se résoudra jamais à laisser les marchands merchandiser tout en jouant les passionnés et ce même s'ils savent très bien le faire où qu’il sont parfois sincères, reconnaissons-le.

Pour revenir au canasson du jour, le dernier polar de Claude Bathany commence à sa mesure, tel quel, comme l’on imagine le bonhomme quand on le connaît rien qu’un peu :
- Depuis que la loche et moi, on vit à quai sur un bateau, j’ai l’impression que ça va beaucoup mieux. Le matin, je me réveille, petit roulis bizarre, parfois la loche est contre moi, parfois pas, et ça nous change un peu de l'existence à terre, même si, pour les commodités, on reste dans le dur.

Ainsi, sans trop en faire et un minimum en dire, est planté là le décor d’un bord de mer humainement instable voir vaseux inscrit dans une architecture vieillotte, hétéroclite et déglinguée de station balnéaire rattachée à sa petite ville appartenant à un littoral quelque peu indistinct voire surtout très neutre, comme on en voit parfois. Bars à hôtesse, cinoches hors saison, boutiques squattées à défaut d’être ouvertes, lunapark au seuil de la ruine, troquets, troquets, restos, troquets.

Bref, auprès des grandes bleues, n'allez pas croire les militants de mauvaise augure, il n’y a pas que des résidences secondaires plus ou moins vides, il y a aussi et surtout une faune qui y stagne, bref, des gens, et souvent des sacrés, aux histoires qui se mêlent et les relient, et qui s’y éparpillent, y convolent, y guerroient, s’y répandent, y vivent, tout bonnement. Pas forcément des symboles de réussite, parfois même plus communément les racines d’une loose qui, la plupart du temps, aurait tendance à s'éterniser. Là où l’on s'accroche parce que printemps et touristes reviennent, avec ses terrasses qui vont avec, et aussi parce qu’on y a vécu, qu’on y est né, qu’on y a atterri un jour, les coulisses saisonnières, ces années passées entre bistrots, boîtes de nuits, camping, cirque alternatif, ça finit par vous user l'échine comme pas possible.
Outre le fait de jouer de l’accordéon aux terrasses pour gagner sa vie en honnête saltimbanque, si le personnage principal parle à la première personne, se déplace beaucoup, en cette journée qui le verra passer des sanitaires d’un vieux stade à un collectif artistico-expérimental avec ce regard revenu de tout qui signale qu’il n’a jamais été bien loin non plus, sa vie semble pourtant déjà passablement surchargée lorsqu'il quitte la loche et ce bateau pour aller chercher ces choses qui sont, on le devinera bientôt, les quelques éléments disparates de cette pauvre seule misérable vie qui lui reste alors.

Mais d'où vient qu’il se retrouve là ? Comment ce fesse et pourquoi en ce jour, justement ? Ce jour qui va alors dévider le fil qui va le faire et nous faire remonter l'histoire et son histoire à lui, de déambulations hasardeuses en rencontres impromptues au gré du véhicule qui voudra bien l'emmener là où il le souhaite mais pas toujours.
Une succession de personnages haut en couleur va alors ressortir de la tanière mémorielle de la naphtaline racontant le pourquoi du comment il en serait arrivé là, à patauger dans ce torpide merdier communautaire à proximité ou à distance de la loche, en ce périmètre de quelques kilomètres de carte du tendre ou renaîtront alors tous ces fantômes au milieu des vivants comme mille diablotins annonçant la méga tuile.

Comme si Claude Bathany avait construit son histoire et le nœud de celle-ci par la fin, étirant scrupuleusement les fils, filles, cousins, oncles, de ce vaste tissu de ramifications filiales pour construire enfin la trame de ce roman avec un perfectionnisme dantesque, picaresque, dément.

On ne va pas tortiller du croupignon, ni en dire plus, à risquer de dévoiler quoi que ce soit, encore moins à s’amuser à surenchérir dans les mots, surtout que dans le domaine on a affaire là à un de ces plus grands orfèvres.
L’auteur a bâti là, avec cette dextérité à taper les mots dans une si franche jubilation qui vous fait pisser de rire environ toutes les cinq lignes, des scènes si finement travaillées qu’on en revient pas, de toute cette démoniaque précision horlogère ; puisque c’est à un maelstrom-vortex de personnages finement imbriqués qui vous mèneront droit au désastre (tout aussi jubilatoire) de la révélation, auquel on va assister.
Mais c’est aussi l'amour, rarement entrevu aussi limpidement dans les textes du monsieur, qui ressort de celui-ci, tout en affleurement émotionnel.
Avé César.
Livre de génie, à la mécanique huilée à l'infini, pas tant polar que scrupuleuse et diabolique étude de l'être humain en milieu tempéré dans un climat qui l’est franchement pas trop.
A savoir comment Bathany produit de la magie, ça, reste à l'artiste circassien en lui de nous le dire.

Desperado sur le rivage, Claude Bathany, Editions Métailié
(des précédents)

mardi 16 avril 2024

Des nouvelles de Melenez, de Gaëtan Lecoq

     Alors que le polar est souvent investi d’une vocation sociale voire d’une utilité historique plus que de finalité littéraire, ici, si ce livre est complètement littérature, il n’en est pas moins dénué, bien au contraire, d’un intérêt social et historique véritable puisqu’il fait le récit d’une communauté îlienne (imaginaire, l’île n’existe pas) il y a de cela plus d’un siècle.
Malgré un début difficile (mes habitudes de lecture), petit à petit s'y égrène la magie du verbe de l’auteur mêlée aux descriptions ciselées distillant le goutte à goutte d’une atmosphère d’une ampleur très imagée aussi réaliste que peut l'être la rugueuse réalité d’une telle communauté face à la vie, mais également, et surtout, puisqu'on est en Bretagne et pas ailleurs, face à la mort.

10 nouvelles-paysages d’un monde d'outre-monde, puisqu’il y est question de la mer, là où l’auteur fait exister et vivre sa communauté, l’observant en conteur-entomologiste, racontant son et ses histoires, ses tourments, ses conflits, rites, antagonismes, ses guéguerres et ses habitudes. Population si finement observée qu’on en devine le vécu de l’auteur lui-même, jusqu’aux rituels religieux d'une enfance si profondément ancrée que celui-ci n'aurait alors plus eu qu’à se souvenir.

Mais quelle est la part de vérité dans un récit qui convoque autant les contes et légendes sur ces terres aux atmosphères aussi changeantes que le caractère de ses habitants ?

Clichés ? Jamais, puisque l’auteur a l’intelligence d'inclure la dure réalité des lieux et de ces êtres au cœur de la fantasmagorie du récit à l'image du regard d’un enfant qui voit un monde si immense autour de lui que celui-ci en devient démesuré et irréel, donc, forcément, et de ce fait, légendaire. La légende naît de là, en fait. D’une admiration sans borne pour ce qui serait plus grand, donc inatteignable.

La Bretagne n’est pas un pays, mais une multitude de pays, délimités tout en étant illimités, enrichis de langues, rites, coutumes, de cultures et d’histoires, de déplacements de populations jusqu’à l'arrivée de tant d’autres. Mais elle est aussi et toujours un ailleurs qu’on croit avoir perdu ou qu’on cherche désespérément, parce qu’elle ne se raconte pas et ne se racontera jamais dans les dépliants touristiques.
Début 20eme : Deux femmes meurent le même jour, l'une de maladie, l’autre par suicide. Premières pertes dans les deux familles dominantes de l’île qui, en quelque sorte, mais à distance, se font face à chaque extrémité de celle-ci. Si ça vous plante à décor, ça distille surtout ce qui pourrait arriver, en cette Bretagne où quelques kilomètres ont longtemps été la distance séparant le connu de l'inconnu.

Petit à petit, à mesure de la lecture, c’est comme si l’on tombait, en ce monde, comme si l’on en devenait mousse, pierre, eau dévalant le rocher, sable incrusté, jetée du port, frémissement des ajoncs et de la bruyère sur une lande rocailleuse soumise aux vents puis aux eaux d’un océan furieux comme à celles, aussi soudaines et définitives, d’un ciel d’orages tonnant sa punition divine jusqu’au soleil couchant qui embrase, réconforte, embrasse, remue aux tripes.
C’est le propre de la légende que d’arrimer solidement le réel au merveilleux. Et surtout de ce réel fait des sentiments tortueux, tourmentés, torturés, des êtres.
Si je n'ai que trop peu de souvenirs de ces contes et légendes qu'à peu près tout le monde connaît (lavandières, korrigans, Ankou, dames blanches), Gaëtan Lecoq revisite ici le genre à sa manière, recréant d’autant mieux ces récits qu’il aura probablement arpenté lui-même longtemps ces terres rattachées aux rites d’un autre temps.

L’auteur nous parle de l'intérieur de cette bulle de mythes qui en vérité s'appelle l'endroit d'où nous venons, même si beaucoup d'entre nous l'ont oublié, refoulé, tout simplement pas connu.
Certains pourraient même l’appeler froidement, techniquement : la fiction. C’est bien d’autre chose, comme d’un au-delà, dont il est question là, et dont est fait notre pays.

Sinon ne serait-on plus que des villes qui grossissent au milieu de caravanes de vacanciers consommateurs plaçant le mot fête estivale au beau milieu du mot culture tout en faisant mine d’apprécier ce qu’on leur offre-à-la-demande ? Vendre le tourisme comme libérateur, puisqu’il fournira du boulot, comme a été bradé, dignité, culture, savoirs, idée d’un peuple, transmissions. Plus que mémorielle, l’œuvre industrielle du siècle dernier aura été de détruire, voir de faire disparaître, et à défaut de ne pas y arriver, de transformer le maximum de gens en serfs d’une industrie nouvelle. A l’image des langues. Transformer les servants d'autrefois en de nouveaux serfs prêts à accueillir chaque année sa plâtrée de nouveaux touristes. Sous la bénédiction de pierre des résidences secondaires.
Ce retour dans le passé en est donc plus riche et plus nécessaire encore. Et aussi pour voir et savoir et mesurer ce qu’on a pu tuer et/ou, plus simplement, ce qu’on a pu laisser disparaître, en nous, et hors de nous.

Lyrique, mystique, poignant, ce pays est profondément inscrit, ressenti, dans et par le récit.
Ces nouvelles tissent la trame de la lignée des deux familles et ce qui finira par leur arriver. D’un amour perdu dont on ne se remet jamais (m’a fait penser àma nouvelle SLF), noires, déchirantes, donc forcément bretonnes, ces nouvelles nous parlent de la douleur et redessinent les vies avec la minutie d’une écriture qui a su observer et replonger dans nos quelques racines encore visibles encore sensibles.

Du récit épique d’un naufrage jusqu’à celui de la fille du patron fuyant l'emprise (et l'entreprise) paternelle, les destins sont passablement merdiques et les amours forcément très entravés.

Le temps a fait que les Goulven et les Kermorvan, nichés dans leur partie de l’île, ont donné des ramifications d’êtres meurtris par la guerre.
D’une incroyable et si fine description de ce microcosme propre à un jour de marché jusqu’à un très humoristique mais très médical toucher rectal, ressurgira perpétuellement le conflit, du fait de jeux, d’enjeux, de rapports de force, de pouvoir économique et de pouvoir tout court d’une famille sur l’autre. Alors reviennent les figures légendaires, puisque ce sont elles qui finalement parlent et font parler bien mieux que les vivants : Dames blanches, moine rouge, Bag Noz emportant les morts vers l’au-delà, destin tourmenté et au bord du gouffre, puisque c’est même d’un trou de l'enfer dont il est question.

Dans une fin épique et lyrique, l’histoire en sera alors tout à coup éclairée comme le serait une côte entière par un phare au milieu d’une nuit très sombre.

On pourrait s'étaler, retourner le récit sous toutes ses coutures, en faire de multiples lectures, ce fut un très beau moment que ce livre finalement assez court, mais d’autant plus riche et d’autant plus dense.

Et puis j’y ai retrouvé un pays perdu. Celui des contes épiques d’un autre temps mais qui expliquent mieux que tout et que quiconque qui nous sommes vraiment.

Merci Gaëtan. A conseiller urgemment.

Gaëtan Lecoq, Des nouvelles deMelenez, Éditions la part commune.

  

jeudi 4 avril 2024

ÖPERATIÖN ACE ÖF SPADES

     Ne faites jamais ça : Quitter un bouquin aussi prenant pour aller vaquer à quelques occupations que ce soit, sous le prétexte, par exemple, d’un bête tsunami qui aurait emporté la quasi-totalité de votre famille alors qu'au fond vous savez bien que vous n’en avez même plus, bordel de merde, de famille.

J’ai fait cette erreur. Et ç’aurait dû m’être fatal ou du moins rédhibitoire. Comment voulez-vous recoller au monstre ? Réemprunter le sillon du bolide ? Retrouver les trépidations de la machine, aurait vêlé la Bardot au boeuf Gainsbourg ? Facile. Ca vient tout seul, y a pas à forcer le destin ; il est là, tout cru, prêt a régner, prêt à massacrer et il s’appelle Motörhead.

Je le savais. Que Patrick Foulhoux baignait dans son jus ; on ne se refait pas. Expression fausse puisque le gazier se refait constamment, passant du témoignage au travail fouillé du journaliste chroniquant  moult groupe dont nul quidam ici-bas, accroché au réseau tel le veau et ses ataviques compères d’abattoir à leur bavoirs, n’aurait souvent la moindre idée.
C'est dire si Motörhead, lui, il connaît.
Et son écosystème sur le bout des palmes, à l’image de Patrick Duffy nageant dans les eaux turquoises* d’une piscine de Miami avec cette même grâce duveteuse avec laquelle il jette un œil d’entomologiste compréhensif sur Mireille Mathieu dans “Together we’re strong”.**

Ça commence par un black-out sur la planète. Plus de son du tout. La cause : une zone blanche dans laquelle la terre se serait engouffrée. Un dysfonctionnement astral ?
Comme le dit l’auteur :
“Seule certitude, chaque seconde qui passe peut ouvrir une faille spatio-temporelle entre le maintenant et l’ailleurs, là ou jamais la raison humaine ne s’est aventurée”.
Si l’ennemi est le silence, la réponse sera donc : Le tréma sur le o. 
Et qui mieux que Motörhead, spécialiste en la matière, pour fabriquer ce mur du son au particularisme langagier si précis ?
“Déjà, à l’époque Hawkind, son premier groupe, Lemmy établit une cartographie du silence, son ennemi juré. Il l’épie. Le traque sans cesse. En composant des chansons, il s’attache à ne laisser aucun espace entre deux notes. Quand il monte un morceau avec le groupe, il demande aux autres musiciens de boucher les trous et de redoubler d’intensité afin d’imperméabiliser la chanson”.
Les services secrets sont sur les dents, la NASA ne dort plus. Le vaisseau Motörhead surgit alors des tréfonds de l'océan pour rétablir la balance et traquer le moindre silence.
“Bilan de l’opération, le son revient à la normale dans le sud de l’Europe, mais crée, de fait, un déséquilibre inquiétant avec le nord du continent qui continue de vociférer à 180 décibels. Les ondes suédoises, norvégiennes, danoises, finlandaises sont prises dans les watts. Toute la population tourne casaque. A la tombée de la nuit, des bûcherons se griment le visage pour aller décapiter des poulets en forêt et brûler des églises médiévales.”

Époque, musique, politique, tout y passe. Grand délire, barnum sauce folie furieuse, Patrick Foulhoux ne se prive de rien, et c’est tout ça, finement entremêlé, carburant au son du groupe et à ce qu’il peut occasionner à la planète toute entière (paradoxalement pour la sauver) jusque dans le monde du silence lui-même, qui est jubilatoire.
Pas de soucis d’ego ici, mais des haltères, puisqu’on y soulève du lourd. Poésie, élégie, héliographie, magie, damnothérapie, hymne de loufoquerie et livre poilant d’une richesse infinie.
Rien ne pouvait définir et honorer mieux le Ace of Spades du groupe Motorhead que ce turbo-livre ovni. 
OPERATION ACE OF SPADES, Patrick Foulhoux, Editions Mono-Tone.
https://www.mono-tone-records-editions.com/livresbooks/p/patrick-foulhoux-pratin-ace-f-spades

* : Patrick Duffy est un comédien américain qui s’est notablement faire remarquer dans la série « l’homme de l’Atlantide », cet homme-poisson qui évoluait grâce à des pieds devenus des palmes (il arborait, de ce fait, ou d’un autre, un maillot de bain jaune du meilleur effet).
 ** : Oui je sais, je mourrai indigne. Outre cette carrière génialissime, doublé d’apparitions aussi poussives dans la série Dallas, Patrick Duffy tentera une sorte de carrière européenne dans la chanson gluante. En résulta cette ignominie et la preuve, parfois, que le silence s’avère, malgré tout, nécessaire.


mercredi 28 février 2024

Désintérêt, inintérêt, cynisme et volonté de nuire sont dans un bateau

     Sur The Zone Of Interest, de Jonathan Glazer.

     Absorbé par les récits, sidéré par ce que l’humanité avait été capable de produire en matière de pire, je découvris les camps de la mort par ces livres de témoignages de déportés qui se succédaient sur une des étagères du petit bureau de mon père. Comme une porte ouverte sur le mal, qui était, à cette époque-là (adolescence), pour moi comme probablement pour d’autres, une trajectoire possible. On dit “peu importe le flacon pourvu qu’on ait l'ivresse". Ç'avait été un vertige, l’évocation d’un désir de domination et de violence, ces cimes de volontés de pouvoir que j’avais cru voir plus tard régner chez certains de mes contemporains, sous-tendant les rapports humains, interrogeant l’animalité prédatrice et sa capacité de cruauté.
Puis, après le vertige, l’incompréhension et le besoin de comprendre. Dans “la mort est mon métier”, Robert Merle dressait le portrait du commandant d’Auschwitz décrivant par là-même la banalité d’êtres frustres auxquels l’on promettait une ascension sociale fulgurante qui faisait s'accommoder ou même adopter les raisons et la logique du pire.
Puis, fan de BD, je tombai sur ce brûlot d’humour noir inévitablement trash (Vuillemin/Gourio, Hitler = SS), tout en saynettes hardcore affichant la monstruosité comme l’infinie misère humaine. Féroce, misanthrope mais qui déjà ironisait sur l'idyllique propriété d'un commandant de camp de la mort tout en jardin fleuri, en amour des fleurs, en animaux mignons, au sein d’une famille parfaite (image plus bas). Bande dessinée si visuellement radicale et aux traits si terribles qu’elle fut retirée de la vente et interdite à la diffusion par des comités d'anciens déportés. Pourtant jamais, bien au contraire, elle ne contestait ce qui était arrivé ni son ampleur.
Puis au “Si c’est un homme “ de Primo Levi vint Shoah, de Jacques Lanzman, qui interrogeait le silence et ce qui nous en restait dans le temps présent, et aussi celui de ces locaux qui avaient vécu avec où à proximité de l'application industrielle du meurtre.
Silence et images fixes disaient l’entêtement, l’incompréhension mais également la difficulté à transmettre des survivants puisqu'on ne peut dire le traumatisme sans qu'il n’y ait une écoute à la hauteur. Et s’il y a peu d'écoute, probablement plus maintenant du fait du brouillage propre à une intercommunicabilité tout azimut, on devine qu'il n'y en eut moins encore à cette hauteur-là et à ce niveau-là.
Restait alors l’assourdissant silence, et désormais ces formes d’évitements, de ceux qui ne veulent pas entendre ni trop spécifiquement remettre en question, jusqu’à l'expression d’un “détail de l’histoire” qui finalement, de par ce statut conféré, serait alors amené à disparaître, et les raisons qui l’ont amené avec.
Peut-être fallait-il alors de plus explicites, significatives et suggestives images d'absence en même temps que de grande proximité, comme celles du film de Jonathan Glazer qui, elles, disent mieux et plus simplement que jamais. Du fait de la présence de la réalité du camp lui-même, usine efficacement redoutable du passé, décor du film racontant cette même efficacité de jour comme de nuit dans un vrombissement (vomissement ?) permanent qui surgit au-dessus des murailles, tout en brêves visions de l'enfer.
Banaliser, banalité.
Cette même banalité propre à notre temps présent, d’un travail journalier par exemple, de celui qu’effecturont, des années plus tard, les femmes de ménage de ces salles de visite mémorielles qu’est devenu le camp lui-même.
Comment parler d'Auschwitz ? Se taire, écouter, lire, entendre, interroger et arrêter enfin ce temps pour ça, ce temps qu'on devrait impérativement avoir, pour justement pouvoir prendre le temps, ce que contredit tragiquement notre monde à nous dans sa furieuse marche en avant. Le temps c’est de l’argent ou le nerf de la guerre, dit-on, constat primaire à partir duquel toute monstruosité redevient possible, trouvant immédiatement en son gestionnaire aux ordres sa justification. Dans la réalité et celle du film, Gestionnaire-Logisticien en chef pour monsieur le commandant, tout à la perpétuation de son mode de vie confortable pour madame. 

“On a réussi Rudolf, on a réussi “ dit Hedwig à son mari, elle qui ne veut perdre son petit paradis au moment où l'entreprise de monsieur (le Troisième Reich), souhaite le déplacer à la direction d’un autre camp.

Tout, dans notre monde, dit et rejoint l’inhumanité qui a préfiguré, mis en place puis perpétué cette monstruosité-là : L’économie, la gestion, désormais la numérisation, la mécanicité des rapports humains, la froideur radicale qu’elle sous-tend, la déshumanisation progressive, la hiérarchisation des vies, le travail élevé en culte indiscutable, jusqu’au refus obtus de vouloir voir survenir un autre monde (meilleur, possible, voulu). La monstruosité, en nous et hors de nous, est en marche, sans même avoir besoin de nous, d'ailleurs, ni même d’invoquer notre adhésion.
Désintérêt, inintérêt, cynisme jusqu’à la volonté de nuire, des ponts relient ces termes, voilà ce qui fait de ce film important probablement un des plus nécessaires du moment.

Il interroge notre époque et notre humanité tout en nous prévenant que celle-ci pourrait très bien nous en coller une si l’on s’exonère de l’envie de chercher à vouloir la comprendre, et surtout à en souhaiter une meilleure.
A peu de choses près (il suffit parfois de le voir dans les gestes d’une caissière ou dans le regard d’un chef de rayon) notre époque génère les mêmes stigmates que ceux qui ont fait venir les nazis au pouvoir : pression, frustration, isolement, rapports de force, efficacité, performance, précarité, chômage, compétition, compétitivité, compétence.
Un temps cariste, j’ai œuvré dans ce qu’on appelle la logistique. Les nazis furent les champions hors-catégorie de ce secteur d'activité en expansion continue. C’est pas du mal, dont on parle, mais de la normalité, de la banalité et de l'œuvre d’un inlassable et parfois même très honnête travail quotidien qui fait qu'on n’a pas à s’occuper ni à regarder chez le voisin.  D'ailleurs, le voisin, il peut crever. Et puis chacun sa merde.

On parle de film effrayant, glaçant ? Non, ça n'est qu'un film, et aucun film ne l'est, c’est notre époque qui l'est, glaçante. 

mercredi 21 décembre 2022

Qavatar

 Ce qu’il faut comprendre c’est l’enfance et ce qu’il nous en reste.

Ce qu'il faut comprendre, c’est l’absolue et passionnante légèreté, au fond, d’un jeu, où l’on défend sa petite chapelle, autour de laquelle, comme n’importe quel village, on aurait besoin de se retrouver pour croire, se faire croire ou même vérifier le fait qu’on ferait parti intégrante d’une communauté.

Penser, enfin.
Ce qu’il faut aussi comprendre c’est le collectif. Et l'idée collective qui n'empêcherait pas à l'individu "d'exister", bien au contraire (« de s’exprimer », terminologie significative du foot, l’expression étant celle des pieds tandis que le langage lui, ne serait plus que quelques mots-clés).

Si Macron a instrumentalisé à outrance ces moments tel un message à passer à la nation, il sait surtout que cette même nation est en partie happée par la dramaturgie du déroulement d’un match pareil (la finale), à l'image d'un film improvisé un peu dément.

Après tout, ne préfère t’on pas la fiction au réel ? Ce qu'ils créent et ce qui fait que ça marche si bien, c’est qu’ils fabriquent une fiction en temps réel, sans scénario, en improvisation permanente tout juste bornée de quelques règles (d'arbitrage).

Là où tout raisonnement (nécessaire, conscient, argumenté) venant de l’extérieur deviendrait un inutile, négatif culpabilisant et froid ballon de baudruche vide de sens émanant de personnes “qui ne connaissent rien au football” (probablement, mais là n’est pas la question/ comment fait on pour se comprendre si on ne parle pas de la même chose ?). De ces personnes qui n’auraient donc pas voix au chapitre.
Parler Football équivalant finalement au fait de ne parler de rien.
Les gens savent, enfin à peu près, ce qui se passe et s’est joué au Qatar. Mais, en vérité, ce qu’ils répondent, c’est :
- Et alors ? 

Des dupes ? Des imbéciles, incapables de comprendre, des cyniques, ou plus communément, et dit par certains, des collabos ?

On peut effectivement le voir comme ça, quand tout esprit critique est évacué, mis à mal, volontairement escamoté, stigmatisé, là où on ne se contente plus que de parler que du contenu d’un match, comme si celui-ci devait être sa seule justification du fait même qu'il existe et qu’il emporte les foules ? (comme d’un cinéma bankable qui remplirait les caisses).

Mais pourtant, de quelle sorte de collaboration parlons-nous alors, dès lors qu’il est question d'un jeu et d’enfants qui le regardent émerveillés ?
Et pourquoi tu te révoltes pas coco ?
D'une, parce que tant qu'on me refile du foot, un salaire et Noël, ça me va, ça me détend, je peux penser à rien, deux, parce que justement, le foot, c’est avant tout un jeu, un kif, une joie, une fête, une angoisse feinte à se faire peur ou à pousser la chansonnette ensemble, une légèreté sans (apparente) conséquence dans un monde décidément trop dur, un rassemblement collectif qui justement met cette dramaturgie en scène, et parce qu'enfin, tu aimes le spectacle, au fond, comme tout enfant, et que ce jeu, ben c’est un peu comme celui de la vie (qui se jouerait alors sur un terrain).

Et tu te révolterais, toi, contre l’expression de la vie ? Contre la joie de vivre, de se sentir vivant ? (et ce même pour des raisons pitoyables, forcément coupables ?)

Dans le monde Macron, l’instrumentalisation politique, la récupération et la recherche de l’assentiment populaire sont les éléments qui lui ont fait  utiliser l’évènement pour faire passer des messages “symboliques” (se serrer les coudes en période duraille, sourire au bel azur publicitaire) à la nation.
De l'autre, militantisme et volonté de recherche de conscientisation virent parfois malencontreusement à la culpabilisation, et de ce fait, devenant injonction, met
tent à mal le propos qu'ils voudraient servir, lorsqu’il ne parle plus à personne, lorsqu'il rabâche ses mots clés ou ses justifications (arguments) finissant même parfois par virer approximation. Jusqu’à ce que les militants se rendent compte qu’il n’y a plus personne, dans la classe, auprès du prêche, au pied du crachoir, à les écouter, et que bien au contraire, tout le monde aura été se réfugier dans le gymnase d’à côté où palpite la vie, la chaleur, l’autre, la passion, le frémissement, mais aussi et surtout l’action où l'histoire-même, tiens, sait-on jamais (le foot, énième paradigme, créant désormais sa forme d’histoire parallèle / sentiment de peuples qui ne voudraient plus du réel ? Ou seulement d'un hyper réel fabrique pour ? Qui en ont suffisamment bouffé ? Qui finalement s'accorderaient de ce mensonge puisqu'il les conforte dans l'inaction et le refus d'agir ?)

Oui, aussi, probablement.

L'Ukraine et toutes les crises sociales sur lesquelles on aurait alors plus du tout de prise, reléguées au second plan ? Oui, mais pour un temps, autorisé, entre 28 minutes de pub, car le réel du monde, les chaînes d'infos et ta propre vie sont là pour te le rappeler à chaque instant.

Casser ce jouet, celui de cet enfant que nous sommes parfois devant ces spectacles ? Pour quelle réalité devenue quasi-impossible à infléchir ? Et pour la remplacer par quoi ?

Utopie ?
Mot qui porte en lui-même l’expression de sa quasi-impossibilité finale ?

Et puis il y fait chaud, dans ce gymnase, et on y vit des émotions folles et légères, parce qu’on est bien, là, à hurler, tous ensemble (tous ensemble, tous ensemble, ouais !) même si hurler sur ça et pour ça et comme ça, peut sembler dément au regard d'une civilisation se disant développée ou seule la culture devrait apporter richesse et partage.

Reste la naïveté enfantine du jeu et son efficacité, puisqu'elle touche tout le monde tout le temps, un nombre impressionnant de gamins ayant été formé dans des petits clubs, de villes en villages, ce qui en explique en partie l’engouement et sa portée
 d’innocence donc de quasi-sacré.
Mais que reste t'il de
s jeux d’enfants au milieu des enjeux adultes ?

Nous, les spectateurs. Prêt à admirer l'enfant du bourg et à huer celui de l'autre, jusqu’à finalement ne plus exister qu'autour de ça, ou par ou pour ça.

Le foot instrumentalisé politiquement ? Du fait de son irrésistible et désormais très mondialisé succès, oui, par tous les bords et encore plus maintenant.
Car effectivement, s’il ne devait y avoir qu'une vérité constitutive de la réalité, elle serait simplement faite de ça :
- Crise 2008.
- Besoin d'argent (entreprises, etc)
- Rapprochement (à L'Elysée) Sarkozy-Emirats-Platini (UEFA, copain européen influent de la FIFA).
- Obtention de la Coupe du Monde de Foot au Qatar (2010, tiens donc)
- Reprise du PSG par un émir Qatari se proposant de financer le bazar
- Gros pognon
- Soft power et réseaux d’influence.
- Hollande et son ministre signant des contrats d'armement et autre avec le Qatar
- Mallettes de biftons.
- Business plan.
- Constructions à tout-va
- Erections hors-normes de tours high-style (Dubaï, Doha, etc)
- Développement exponentiel d'un pays devenu ultra capitaliste (tout en restant un régime féodal/ la Chine doit en être jaloux)
- Architectes occidentaux bankable
- Chantiers démentiels refilés aux industriels mondiaux du BTP
- Négociation et médiation (contrepartie, un service contre un autre)
du Qatar dès lors qu'un otage occidental se fait enlever dans un pays du Maghreb (Iran, Irak, Syrie, Arabie saoudite, Yémen, Afghanistan, organisations islamiques de tout poils)
- Intérêts pétroliers
- Intérêts gaziers
- Intérêts financiers
- Géostratégie
- Désormais the place to be
- Coupe du monde
- Centre du monde
- Guerre
- Crise énergétique
- (ça tombe bien, on a du) Gaz liquide en quantité démentielle (frottage de mains)
- Corruption de fonctionnaires Européens
- Dépendance énergétique avant dépendance tout court ? Ou simple partenariat entre pays riches ?

Bref, le monde des adultes.

Que viennent donc faire là Mbappe, Messi et tous les autres, ces centaines de gamins jouant sur un terrain de foot comme sur celui de leur enfance, sinon pour servir de boules de Noël ou de paravent afin de cacher la misère d'une sinistre arrière boutique capitalistique ?

Le Qatar fut longtemps un trou paumé pauvrissime uniquement habité par des pêcheurs faméliques trimant jusqu’à ce qu’ils découvrent (par le biais des occidentaux ?) que leurs sols regorgeaient de ressources énergétiques exploitables.
- Leur en voudrait-on, alors, à eux, de s’enrichir, de s’être enrichi, un pays du Maghreb étant forcément “douteux” par rapport aux habituels richissimes et dominants pays occidentaux qui s’en sont toujours foutus plein les fouilles justement en exploitant les ressources des autres à leur profit ? (généralement sans en laisser une miette, esclavagisant les populations à outrance).
Le très clinquant capitalisme Qatari rentrerait-il désormais en résonance négative avec le nôtre ? Qui s’essaie à être plus “branchouille”, tentant la discrétion,
jouant l'égalitaire, presque éco responsable, mais qui d’une façon détournée et après avoir pollué et pourri définitivement le monde en un siècle d’industrialisation mortifère, se met tout à coup à faire des leçons à tout le monde ?

Où lui ferait-il simplement ombrage ou mieux, dans son expression-même, concurrence ?
Les homosexuels ? Tous les pays régis par la religion musulmane ont une très fâcheuse tendance à promouvoir une chasse grandeur nature à l'homosexualité (ce que fit bien longtemps et encore philosophiquement et psychologiquement le catholicisme ici-bas). Quand ils ne pendent pas ou ne décapitent à tour de bras.

Chantiers BTP ? Ouvriers morts ? Ou sont les organisations syndicales autres que plus ou moins patronales dans nos pays à nous, à tout à coup se rapprocher du sort des ouvriers alors qu’il s’en cognent ainsi que les pouvoirs publics et la population ici bas le reste du temps ? (en des années d'ouvrier du bâtiment, je n’ai jamais vu la moindre présence syndicale autre que celle du patronat. Encore moins la ligue des droits de l'homme).

Gageons que 10 ans de travaux titanesques comme ceux du Qatar n'importe où et il serait bien possible qu'on en finisse vite par comptabiliser un nombre de morts ou d'éclopés avoisinant le chiffre en question.
(La vie de chantier)
Croyons nous vraiment, que nombre de ceux qui regardent ébahi le visage tout entier rendu à l’enfance ces matchs de foot, sont complètement dupes de ce qui se passe dans l’arrière boutique de cette sorte de capitalisme-là ? De ces sortes de pays-là ?
Le jeu et l'enfance sont innocents dans un monde qui ne l’a, en vérité, jamais été.
Peut-être prenons-nous alors simplement conscience de ça, plus que jamais. De ses multiplicités de traduction et de lisibilité du monde qui font qu'on peut en haïr profondément un aspect (géopolitique, géostratégique, sociétal, intérêts financiers, corruption, féodalité du pays choisi) tout en en adorant l'autre ? (jeu, sport, enfance, innocence, communion populaire) ?

Le jeu est probablement la seule chose innocente qui reste à l’humain et le fait encore se mouvoir et ouvrir des yeux émerveillés.
Comprendre cette enfance-là, cette soif d'enfance là, qui quelque part raconte toujours des histoires auxquelles l’on pourrait croire. Cette soif et ce désir sortis pour un temps de la normalité d'une vie auquel s'attacherait le boulet social, sociétal, et qui ne demanderait rien d’autre que de s’en extraire pour rejoindre ce qui pourrait ressembler (religieusement parlant, les sud-américains le savent bien) à une célébration.

De la vie ? De la cohésion ? Du partage ? D’une certaine joie ? D’une idée commune ? Du sentiment enfin d’exister dans un monde qui t’écrase la gueule ?
Un peu tout ça à la fois.

Le problème n’est pas le jeu, les joueurs, presque même l’organisation qui quelque part permet à cette part d’enfance de continuer à vivre, ni même ces enfants de spectateurs que nous sommes tous parfois, le problème c’est d'une réalité qu'on est incapable de changer au milieu d’une bérézina de promesses déçues.

Là que le vrai monstre s’insinue, thématique publicitaire utilisant ce terreau d’enfance pour l’instrumentaliser, le dévoyer :
“Gros gains, gros respect.” qu'
il susurre alors à l'oreille de l’enfant, victime désignée, le monstre publicitaire cynique, sans que cela ne semble plus déranger personne, à cet enfant qui croit ce qu'il voit, vit, ressent. Fric, pouvoir et promesse de domination comme s'il n'y avait plus que ça, comme modèle de vie et d’horizon possible.

C'est Publicis et consorts, les vrais criminels, les vrais collabos, qui devraient impérativement être mis au ban, envoyés à la cour pénale internationale, avec Poutine et consorts
La compétition
(traduction : çui qu’a la plus grosse/ mot cher aux ultra-libéraux de tout poil) footballistique fait le reste. Ca et désormais le pied glissé par ce charmant pays dans un coin de porte de la communauté mondiale, en influence qui se voudrait désormais prioritairement décisionnaire (j’ai le pognon, alors ferme là). Et au-delà de la corruption de fonctionnaires européens, ce sont désormais les menaces, qui viennent.
De couper quoi, le gaz ?

Tenir le coup, et relever la tête.
Mais pas pour glaner une autre coupe du monde.
Pour que cette fiction-là ne devienne pas la seule et unique réalité.



dimanche 27 novembre 2022

Une trière bourrée de cigüe

Périclès avait été un grand gardien de but.
Dans la région du Péloponnèse, ses exploits s’étaient répandus et désormais chaque dimanche, une foule de jeunes athéniens couraient derrière la tête du Spartiate du jour, qu’un parent attendri renouvelait lorsqu’elle se gâtait un peu.
Un jeu mal défini, sans règles.
Mais la civilité de chacun fit que bientôt, aidé par un naturel patricien, ils ébauchèrent un système à base de passes, de têtes, de dribbles, puis de contrôles orientés, dans une atmosphère de paix, de générosité et de camaraderie basée sur un échange sincère où le méchant tacle n’était pas trop le bienvenu. Le concept de beauté s’incrusta alors dans ce jeu qu’auparavant on aurait pu trouver carrément con-con.

A Athènes, le jeu n’était pas seulement jeu, mais sujet de réflexion, puis concept, que les sophistes, chômeurs de longue durée de l’époque, se mirent alors à théoriser à tour de bras.
Et c’est là, à l’ombre d’amphithéâtres ruineux où officiaient ces assistés, que le jeune, glabre et longiligne Socrates fit ses premières armes, sur un terrain poussiéreux où s’affrontaient systématiquement la discorde et la mésentente.
Ce fut également vers ces années-là où les nuages d’une guerre imminente s’amoncelaient dans le ciel de Grèce, que ce même Socrates, mine de rien, commença à acquérir l'art de la dialectique auprès de ces inactifs. Bien vite, on lui refila des têtes de Spartiates pour qu’il puisse s’entrainer lorsqu'il le désirait.

Socrates naquit du tailleur de pierre Sophronisque et de la sage-femme Phénarète, qui plus tard, lui donnèrent un jeune frère, Raï. Passons sur Sophocle le dégénéré, banni par la famille à la suite d’un match assez lamentable, qui, s'il fit montre d'un jeu plutôt novateur, succomba vite à son caratère sanguin face à des adversaires rugueux et avec de l'expérience
Bref, comme tout jeune ambitieux, Socrates se castagna pour imposer son jeu : Bataille de Potidée, Délion, jusqu’à Amphipolis où un certain Platon commença alors à lui coller au train pour lui piquer cette balle qu’il ne perdait plus, car il était devenu redoutable technicien et jonglait comme un demi-dieu.
Ce fut également vers cette époque, alors que de fulgurants émois lui faisaient découvrir la musculeuse langueur platonicienne sous la douche, que des recruteurs de l’AEK Athens lui fondirent dessus.
Tacticien formidable, son jeu plaisait.
Dialecticien au sommet de son art, son style déroutait.
Alors commença une immense carrière toutefois entachée de quelques égarements.
Dont ce quart de finale perdu, car sa théorie bâtie sur la raison se heurta au formalisme obtus du goal adverse, qui rejeta d’une façon abrupte la didactique impitoyable sur laquelle il s’adossait dans les seize mètres, et ce grâce à la barre transversale.
Après une longue carrière nationale et internationale où il ne glana plus rien car il passait le plus clair de son temps à pérorer tout seul, ce qui maintes fois, déclencha les foudres de sa propre équipe, il réussit toutefois quelques bons matchs dans l’équipe trois de la réserve B de l’AEK Athens.
Marié depuis 15 ans à Xanthippe, femme acariâtre avec qui il avait eu trois gorets bourrés de féta et de moussaka CEE l’obligeant à mendier une hausse de salaire à son club, il dut alors supporter l’indécence d’une sorte d’assistanat, en plus de se savoir déjà très laid et beaucoup vieillissant (Ribérysme).
Alors il commença à boire, s’invitant à philosopher chez des gens qui possédaient une cuisine romaine comprenant un bar rempli d’amphores.
Ce fut vers cette période où une certaine fragilité s’emparait de lui, que Vincent Duluc, scribe en vogue à la gazette de l’Acropole, commença alors à le dépeindre :
- Socrates croit en la supériorité de la discussion sur l’écriture, ainsi, par manque de concentration, il a toujours loupé un nombre incroyable de buts car il a toujours parlé sans discontinuer dans la zone de jeu plutôt qu'agir, méprisant tout en même temps feuille de match et directives du sélectionneur (sous-entendu ce con).
Sur son esprit, et avant de pénétrer sur le terrain, ce qui parait-il, enfonça Socrates dans une dépression fatale :
- Ce qui le rend plus généralement cafouilleur, ce sont tous ces mythes que nous trouvons dans les dialogues qui concernent l'âme, son origine, et son insertion dans le corps…
Font-ils autre chose que noter en termes de pensée platonicienne une émotion créatrice, l'émotion immanente à son enseignement moral ?

Néanmoins, quand on le questionnait justement à propos de ce même terrain, Vincent D haussait les épaules et soupirait, l’œil vide mais qui s’interrogeait :
- Certains joueurs sont très énigmatiques, voir un peu taciturnes, et c’est souvent ce qui fait qu'en défense ils explosent à un moment donné ».
Puis il enchaînait :
- A propos de la dialectique socratique, on peut reprendre ce que Kojève disait au sujet de la dialectique hégélienne, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une méthode : il ne s’agit pas d’une convention ou d’une invention au même titre que la logique aristotélicienne. C’est une réalité ; elle est existentielle. Autrement dit, chez Socrates comme chez Kierkegaard, l'arriere-droit scandinave, on est en présence d’une dialectique ironique : l’existence est ironie, je suis moi-même une question, je suis insoluble, je ne suis pas l’objet d’un savoir et je m’échappe. Donc en gros, voilà pourquoi il n’aurait pas surnagé à la pression du terrain, si je peux m’autoriser à dire ça, et c’est certainement pas Duga qui me contredira, hein Duga..

Ce qu'il faut noter toutefois et avant tout, c'est que certaines de ces phrases dans les vestiaires resteront comme les directives d’un grand leader :
- Ceux qui désirent le moins de choses sont les plus près des dieux (il faut savoir se faire oublier sur un terrain)
- La sagesse commence dans l’émerveillement (si c’est pas parce qu’on vient d’en coller un qu’il faut se désunir, faut pas non plus gâcher son plaisir et avoir conscience en ses capacités)
- Connais toi toi-même (et ton ailier saura où tu es)
- Ce qui fait l’homme, c’est sa grande faculté d’adaptation (même si on te marque à la culotte, fous des coups de genoux comme Théo Hernandez et balance le ballon à Mbappé, il finira le boulot).
Socrates fut incapable de s’adapter à son dernier cocktail : Une cigüe-orange arrangée servie à 3 h30 dans un club gay d’Héraklion où sa sagesse l’avait guidé une dernière fois.