dimanche 27 novembre 2022

Une trière bourrée de cigüe

Périclès avait été un grand gardien de but.
Dans la région du Péloponnèse, ses exploits s’étaient répandus et désormais chaque dimanche, une foule de jeunes athéniens couraient derrière la tête du Spartiate du jour, qu’un parent attendri renouvelait lorsqu’elle se gâtait un peu.
Un jeu mal défini, sans règles.
Mais la civilité de chacun fit que bientôt, aidé par un naturel patricien, ils ébauchèrent un système à base de passes, de têtes, de dribbles, puis de contrôles orientés, dans une atmosphère de paix, de générosité et de camaraderie basée sur un échange sincère où le méchant tacle n’était pas trop le bienvenu. Le concept de beauté s’incrusta alors dans ce jeu qu’auparavant on aurait pu trouver carrément con-con.

A Athènes, le jeu n’était pas seulement jeu, mais sujet de réflexion, puis concept, que les sophistes, chômeurs de longue durée de l’époque, se mirent alors à théoriser à tour de bras.
Et c’est là, à l’ombre d’amphithéâtres ruineux où officiaient ces assistés, que le jeune, glabre et longiligne Socrates fit ses premières armes, sur un terrain poussiéreux où s’affrontaient systématiquement la discorde et la mésentente.
Ce fut également vers ces années-là où les nuages d’une guerre imminente s’amoncelaient dans le ciel de Grèce, que ce même Socrates, mine de rien, commença à acquérir l'art de la dialectique auprès de ces inactifs. Bien vite, on lui refila des têtes de Spartiates pour qu’il puisse s’entrainer lorsqu'il le désirait.

Socrates naquit du tailleur de pierre Sophronisque et de la sage-femme Phénarète, qui plus tard, lui donnèrent un jeune frère, Raï. Passons sur Sophocle le dégénéré, banni par la famille à la suite d’un match assez lamentable, qui, s'il fit montre d'un jeu plutôt novateur, succomba vite à son caratère sanguin face à des adversaires rugueux et avec de l'expérience
Bref, comme tout jeune ambitieux, Socrates se castagna pour imposer son jeu : Bataille de Potidée, Délion, jusqu’à Amphipolis où un certain Platon commença alors à lui coller au train pour lui piquer cette balle qu’il ne perdait plus, car il était devenu redoutable technicien et jonglait comme un demi-dieu.
Ce fut également vers cette époque, alors que de fulgurants émois lui faisaient découvrir la musculeuse langueur platonicienne sous la douche, que des recruteurs de l’AEK Athens lui fondirent dessus.
Tacticien formidable, son jeu plaisait.
Dialecticien au sommet de son art, son style déroutait.
Alors commença une immense carrière toutefois entachée de quelques égarements.
Dont ce quart de finale perdu, car sa théorie bâtie sur la raison se heurta au formalisme obtus du goal adverse, qui rejeta d’une façon abrupte la didactique impitoyable sur laquelle il s’adossait dans les seize mètres, et ce grâce à la barre transversale.
Après une longue carrière nationale et internationale où il ne glana plus rien car il passait le plus clair de son temps à pérorer tout seul, ce qui maintes fois, déclencha les foudres de sa propre équipe, il réussit toutefois quelques bons matchs dans l’équipe trois de la réserve B de l’AEK Athens.
Marié depuis 15 ans à Xanthippe, femme acariâtre avec qui il avait eu trois gorets bourrés de féta et de moussaka CEE l’obligeant à mendier une hausse de salaire à son club, il dut alors supporter l’indécence d’une sorte d’assistanat, en plus de se savoir déjà très laid et beaucoup vieillissant (Ribérysme).
Alors il commença à boire, s’invitant à philosopher chez des gens qui possédaient une cuisine romaine comprenant un bar rempli d’amphores.
Ce fut vers cette période où une certaine fragilité s’emparait de lui, que Vincent Duluc, scribe en vogue à la gazette de l’Acropole, commença alors à le dépeindre :
- Socrates croit en la supériorité de la discussion sur l’écriture, ainsi, par manque de concentration, il a toujours loupé un nombre incroyable de buts car il a toujours parlé sans discontinuer dans la zone de jeu plutôt qu'agir, méprisant tout en même temps feuille de match et directives du sélectionneur (sous-entendu ce con).
Sur son esprit, et avant de pénétrer sur le terrain, ce qui parait-il, enfonça Socrates dans une dépression fatale :
- Ce qui le rend plus généralement cafouilleur, ce sont tous ces mythes que nous trouvons dans les dialogues qui concernent l'âme, son origine, et son insertion dans le corps…
Font-ils autre chose que noter en termes de pensée platonicienne une émotion créatrice, l'émotion immanente à son enseignement moral ?

Néanmoins, quand on le questionnait justement à propos de ce même terrain, Vincent D haussait les épaules et soupirait, l’œil vide mais qui s’interrogeait :
- Certains joueurs sont très énigmatiques, voir un peu taciturnes, et c’est souvent ce qui fait qu'en défense ils explosent à un moment donné ».
Puis il enchaînait :
- A propos de la dialectique socratique, on peut reprendre ce que Kojève disait au sujet de la dialectique hégélienne, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une méthode : il ne s’agit pas d’une convention ou d’une invention au même titre que la logique aristotélicienne. C’est une réalité ; elle est existentielle. Autrement dit, chez Socrates comme chez Kierkegaard, l'arriere-droit scandinave, on est en présence d’une dialectique ironique : l’existence est ironie, je suis moi-même une question, je suis insoluble, je ne suis pas l’objet d’un savoir et je m’échappe. Donc en gros, voilà pourquoi il n’aurait pas surnagé à la pression du terrain, si je peux m’autoriser à dire ça, et c’est certainement pas Duga qui me contredira, hein Duga..

Ce qu'il faut noter toutefois et avant tout, c'est que certaines de ces phrases dans les vestiaires resteront comme les directives d’un grand leader :
- Ceux qui désirent le moins de choses sont les plus près des dieux (il faut savoir se faire oublier sur un terrain)
- La sagesse commence dans l’émerveillement (si c’est pas parce qu’on vient d’en coller un qu’il faut se désunir, faut pas non plus gâcher son plaisir et avoir conscience en ses capacités)
- Connais toi toi-même (et ton ailier saura où tu es)
- Ce qui fait l’homme, c’est sa grande faculté d’adaptation (même si on te marque à la culotte, fous des coups de genoux comme Théo Hernandez et balance le ballon à Mbappé, il finira le boulot).
Socrates fut incapable de s’adapter à son dernier cocktail : Une cigüe-orange arrangée servie à 3 h30 dans un club gay d’Héraklion où sa sagesse l’avait guidé une dernière fois.

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