dimanche 9 janvier 2022

Sur la planète TITAN(E), de Julia Ducournau


Titane est une très belle et très radicale histoire d'amour mettant en scène la différence et la souffrance. Une histoire de perte et de redéfinition de soi.
Julia Ducournau s'embarrasse peu de dialogues, les personnages le font à travers leurs corps. Et en particulier pour Alexia-Adrien, jouée furieusement par Agathe Rousselle, puisque le cul est un transport, un véhicule et un média, et la façon la plus directe d'aller à soi.
La réalisatrice semble chercher un sens à son propre cinéma, tout en réglant l'équation en cours de route, puisque le vrai sens du sien est de regarder se transformer et devenir.

Au-delà même d'un Cronenberg souvent trop cité, Ducournau trace (traque ? matraque ?) le désir dans la chair de ses personnages, les scarifiant pour en faire sortir le pire ou le meilleur, tandis que leur histoire s'écrit avec et autour d'eux. La liberté serait-elle tout entière nichée dans la libido ? L'humain reprendrait-il enfin la main sur sa propre libido donc sur sa vie, quel qu’en soit le prix ?
Une belle palme pour l'amour toujours et plus que jamais. S'il me souvient avoir été sidéré par Grave (pas par sa fin, qui donnaient des réponses dont on se serait bien passé), j'ai été remué par la grâce de ce Titane plus léché et plus abouti que jamais.


Le rejet de toute discipline (malgré ce carcan de la contrainte qui la fascine et fait finalement sa force) est la racine de son cinéma, et au-delà, de son être. En témoigne, pour ceux qui l'ont vu, l'enfant dans la voiture du début du film, comme déjà d'un inquiétant portrait d'elle-même. Finalement au début, dans la vie, rien n'est grave, semble t' elle dire, avant que tout ne s'aggrave. Mais ne faut-il pas ça, justement, pour se libérer ?

Julia Ducournau arrivera-t-elle à faire longtemps l'équilibriste entre cinéma de genre (donc de niche et/où, pire, de marché) et dessein poétique (politique, philosophique, psychologique) personnel ? Chez elle, les deux fonctionnent et semblent se mêler et se répondre à merveille, tel un organique heureusement lié à la mécanique, mais jusqu’à quand, et comment ?

Ainsi, la transformation est également dans le regard. D'une vulgate populaire où des nanas matées par des hordes de mecs se trémoussent sur une piste de danse, on vole au passage le regard gourmand de sa comédienne (coincée dans un corps d'homme) sur des hommes dans une scène d’une sensualité sans pareille.


Kechichienne et languide, Julia Ducournau transforme alors l'univers du mâle alpha en antre techno-gay, avant d'inverser les codes dans le tableau (purement machiste) de la fête suivante, comme pour faire se percuter ou du moins confronter les genres afin d'interroger l'exhibitionniste comme son voyeur.
Paradoxe que cette Alexia-Adrien donnant la vie tandis qu'une moustache lui apparaît. Vie, mort, transfiguration, nativité. Biblique, vous avez dit ? Oui mais pas vierge et encore moins Marie. Comment combiner tout ça, tous ces nouveaux facteurs de vie sans pour autant orchestrer leur destruction totale ? Sexe, rapports, relations, constructions sociales, technologie, violence privée, sociale ?

Pas vraiment de références langagières dans ce cinéma-là, Julia Ducournau cherche une nouvelle forme de cinéma comme pour se trouver elle-même.
L'homme, le mâle, n’a plus rien à dire avec le média cinéma, son regard est ancien, normé, en fin de course (au mieux), ni sur la vie et encore moins sur le corps, puisqu'il a épuisé tous les stratagèmes pour utiliser et se servir tout azimut de celui de l'autre.
Et même et surtout lorsqu’il figure des femmes dites libres au cinéma, il s’arrange toujours pour les coller dans une confortable nappe de morale, versée de famille, d’un ordre patriarcal qui ne serait finalement pas si méchant que ça (tant qu’il distribue toujours et encore les cartes).


L'humanité de Julia Ducournau va pourtant jusqu’à regarder cet homme-là (père perdu) avec beaucoup d'affection, et peut-être même pour le soutenir à son tour, inversant par là ces rôles traditionnellement dévolus où l'homme était sensé "soutenir" la femme.
La cinéaste aime les hommes, mais certainement pas à sa place ni à celles de ses amies réalisatrices, ni même désormais à un quelconque poste décisionnaire.
Par un regard transversal et amusé, elle semble même dire : "Dégage mec, t'as fait ton temps".

Plaisir de retrouver l'envoûtante Garance Marillier, de son précédent film Grave. Bouleversante Agathe Rousselle et toujours parfait dans son intériorité comme dans sa masse physique aussi rassurante que finalement très érotique aux yeux de la réalisatrice, Vincent Lindon.
Mais pas revancharde pour un sou et au contraire-même, plutôt rieuse, la réalisatrice va jusqu’à piquer le langage d'un homme, Quentin Tarantino, lors d'une amusante scène en forme de quasi clin d'œil.
Son cinéma n'est pas organique comme le dirait ou le ferait un certain, il pose la question du corps et de l'organisme dans un monde de domination et de torture.

Alors, que le cinéma meure ! (pourvu qu'il renaisse dans celui des femmes).



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