O joie ! y'a tellement de bouquins qui vous passent entre les doigts tel le sable d'une plage où ne se dessèchent que les vieilles peaux et les tentacules de la méduse, que lorsqu'on en trouve un qui parle vie, vérité, sincérité, simplicité, réjouissances et folie, l’on s'y accroche comme si c'était un peu la sienne (de vie) (et pas la chienne. Quoi que).
Évidemment un camarade, mais justement. Après l’avoir croisé, après avoir été gentiment piloté (et pas éconduit!) par le bonhomme lors du Goéland masqué ; à sa fréquentation, à sa générosité, à ses histoires, il était temps de le découvrir par ses livres (lui qui est souvent bien plus tourné vers les autres).
Voilà pourquoi on est content d'avoir signé un jour dans la même maison. Parce qu'on s'y retrouve un brin chez soi, et dans le vrai, avec quelques billes et trajectoires avoisinantes, là où lui est fait de regards touchants, de phrases directes, d'un phrasé qui ne s’embarrasse pas de littérature (et c'est heureux) et d’un témoignage vrai et brut de cette jubilatoire réalité distordue qu’est la fiction.
Avec celui de raconter des histoires, tirer des portraits jusqu'à la pire grimace est sensiblement un des grands talents d’Yvon Coquil. L’humain, bringuebalant, con, énervé, idiot ou placide, complètement dingue parfois, mais toujours irrémédiablement touchant, au centre, pour le meilleur et jusqu'au pire. Voilà ce que raconte, démultiplié et en nouvelles, ce malicieux opus.
Pas de chichi avec le bonhomme, 30 ans de chantier naval, ça ne forge pas que de l’acier, ça force le respect et ça va droit au but. Ça interpelle, préconise tout juste mais avant tout, si ça engueule, ça ne sera jamais insensible, parce que c'est pas le genre de la maison. Tranches de vie, en ces temps ou la dislocation des solidarités a fini par mener au chacun pour soi, tranches d'un monde qu'on cherche à fuir, sans jamais y arriver puisque comme le sort, il vous revient toujours en pleine gueule. Un ciel bleu, dans le regard d'une femme, mais ce destin fatal qui vous cloue au tabouret de bar ; le quotidien des gens, des pauvres, qui ne s’enrichiront jamais, ou parfois, pour et par la cause, et ce qu'il pourrait en résulter. Mais la communauté, toujours, encore, aussi petite soit-elle, pour pas longtemps probablement, car Yvon Coquil, quand il ne fait pas disjoncter littéralement ses personnages (voir le remarquable et si paranoïaque “le sniper de Keruscun”), raconte SA mémoire ouvrière à lui. Pas tant les chantiers, mais la vie comme elle peut, tout autour.
Finalement, du travail lui-même, rien de particulier à en dire d'autre que des gestes qu'on apprend, répète, affine, et qu'un silence aussi respectueux que contractuel vous obligera plus ou moins à taire vis-à-vis de l'extérieur, sans même parler de la pudeur du fait des autres et des copains, puisqu'il y en a et qu'ils seront matière et préalable à réussir à supporter à peu près toute la saloperie du reste : c'est à dire cette foutue chienne de vie. Bref, et Brest, la relation à l'autre, quel qu'il soit, et aussi insupportable soit-il (soit elle), elle sera toujours au centre de tout.
Pas spécifiquement de poésie, on est pas chez Ponthus, juste cette fatale enclume de fatigue qui vous tombe sur le coin de la gueule en fin de journée, en réalité moyennement fréquentable et encore moins racontable. Le reste, c'est limite de l'indécence ou du voyeurisme bourgeois. Toi, t’en sors, eux y restent pour la vie, et souvent même y meurent à peine sortis, puisque les maladies de leur travail les auront rattrapés. Aux ouvriers d'en parler, alors. Le monde du travail est ce qu'on y fait et ce qu'on sera amené à y faire, point. Voilà peut être la raison pour laquelle Yvon Coquil n'en parle pas précisément, ou si peu, évoquant plutôt les alentours, les à-côtés, les histoires autour, du tissu géographique populaire au groupe, à la bande, au quartier du coin de la rue, et ainsi des rues et de la ville, de sa ville, du matin au soir jusque tard dans la nuit, des gens et de la vie des zones, des pans de bout de ville de Brest qui appartiennent à son histoire, glanées, récupérées, restituées, recrachées. Avec cette plume et ce regard qui sait, parce que l'auteur connaît la vie, les êtres, et qu'on ne la lui fait pas.
Tellement loin de cette littérature du moi qui ne ramène jamais, même un peu, à l'autre ; du moi qui s'expose, se surexpose, se superpose. Tout en idées, songes, rêveries, supputations, mélancolie, horizon brumeux (normal c'est la mer), généralement un peu contemplatif et au sein d'une famille compliquée (ah, ces familles compliquées…). Un truc à grain de sable, avec trois rouages bourgeoisement entretenus pour faire rouler le merdier sensé passionner une population à cette période de l'année où il est temps d'ouvrir les volets de la résidence secondaire.
Bref, pour aérer.
Une littérature de l’aération, comme lorsqu'on lâche un vent après s'être mangé celui du large. Voilà pourquoi le polar a toujours et encore son importance, pour dire, tenter d'expliquer le monde et ce qui a bien pu se passer (pour que tout vire ainsi à la merde?). Le passé, le temps et comment les choses ont pu se déliter, pour mieux comprendre la ville, un monde, les à-côtés d'un monde, un milieu, et ce travail au début central devenu finalement accessoire, puis progressivement non-travail, et ce que, surtout, ça occasionnera sur vous. Bref, pour dire ce qui reste de l'humain, de son rapport à l'autre, de ses rapports aux autres, lorsqu'il en reste, des autres, et aussi des rapports, qui ne seront encore pas tout à fait devenus, comme ils le sont désormais un peu partout maintenant, de force ou concurrentiels.
Brest ?
Pour moi, l’empreinte de récits familiaux par de lointains cousins, deux jours par ci par là, un passage par la gare et la ville en bus lorsque, guide touristique, plus jeune, je promenais mes touristes sur les côtes l'été venu, des fragments d'enfance entre Porspoder, Portsall, et Lanildut, un Amoco Cadiz plié en deux dans le zodiac d’un tonton retraité de la marine marchande, puis, mes premières copines arrivé à Rennes, le Finistère telle une insoupçonnable filiation instinctive.
Bref, Brest et la vie des gens. Des copains et des copines, une histoire particulière, comme l’anecdote du fin fond d'une famille. Yvon Coquil est témoin de son temps mais également du temps et de celui des générations de sa ville, de celles de ses quartiers, de la Bretagne, mais surtout, et aussi, des gens et de leur écosystème branlant mais souvent irrésistible et désopilant, puisque c'est l'être humain qui est parfois et souvent ainsi, quand on le regarde avec l'amour qu'il mérite toujours, tellement cette chienne de vie vous bouffe tout cru.
Yvon Coquil témoigne de la vie de ses bestioles là et de ce grand delirium qu'est leur passage sur terre qu'il sait si bien mettre en mots, avec la force de la simplicité. Il l'a probablement vu naître et évoluer cette cité des maçons. Qu’est elle devenue ? Qu’en est il aujourd'hui ? N’aurait-on pas plutôt envie de lui demander mais sans vraiment vouloir le savoir, puisque la fiction sert justement à un peu fuir la réalité pour un rendu autre, et probablement aussi, pour en tirer le meilleur ?
Et puis fuck, pudeur et transmission et place aux nouvelles générations, et leur laisser le crachoir et la parole.
Brest c'est pas que Miossec, même s'il témoigne d'une sorte d'humour désespéré et comme détaché propre aux brestois et aux finistériens. Ce truc d'infinité plutôt que de bout du monde, qu'on leur ressasserait en permanence. Brest n’en a que foutre puisqu'elle est au centre d’elle-même, surtout. Elle n'est pas Rennes, et encore moins, comme cette dernière, du genre à pomper Paris. Elle est un concentré d’histoires et un succédané de dignité. Mots clés et vortex existentiels au milieu desquels tout devra irrémédiablement tourner : Le Sulky et La cité des Maçons.
Bref (ou plutôt Brest), cet opus est une radicalité joyeuse et un véritable grand livre majuscule.
Vagues, Yvon Coquil, Goater Noir.